« Chaque fois que j'entends un discours politique ou que je lis ceux qui nous dirigent, je suis effrayé depuis des années de n'entendre rien qui rende un son humain. Ce sont toujours les mêmes mots qui disent toujours les mêmes mensonges. Et que les hommes s'en accommodent, que la colère du peuple n'ait pas encore brisé les fantoches, j'y vois la preuve que les hommes n'accordent aucune importance à leur gouvernement et qu'ils jouent, vraiment oui, qu'ils jouent avec toute une partie de leur vie et de leurs intérêts soi-disant vitaux. »
(Camus Carnets août 1937)
Bienvenue au club hein ? Je trouve cette idée de jeu extrêmement opératoire, et d'autant plus dans notre contexte actuel.
Les politiques de tous bords, partout dans le monde, c'est clair jouent entre eux, au lieu de s'atteler à la tâche et aux responsabilités qu'ils auraient à assumer. Les médias et relais d'opinion (voire fabricateurs d'opinion, propagandistes et influenceurs) jouent aussi : qui va gagner les élections, la guerre, emporter tel marché, qui domine dans tel parti, quel calcul fait untel …
Mais l'étonnant, l'absurde même, c'est que les peuples gouvernés entrent dans ce jeu au lieu d'exiger que soient posées les vraies questions et résolus les vrais problèmes. (Lesquels ? Oh des broutilles : les questions de justice sociale, de rapports internationaux coopératifs sur les enjeux majeurs : le climat, le partage des ressources …)
Force de l'aliénation qui fait négliger les intérêts vitaux, et qui même au bout d'un moment, les confond avec ceux des aliéneurs. Une aliénation où sont passés maîtres les partis et leaders populistes, manipulant la colère du peuple au gré de leurs jeux (et intérêts), et ainsi la désamorçant : ils savent bien qu'une fois au pouvoir, elle se retournera contre eux.
« Si j'avais à écrire un livre de morale, il aurait cent pages et 99 seraient blanches. Sur la dernière j'écrirais : ''je ne connais qu'un seul devoir et c'est celui d'aimer.'' Et pour le reste je dis non. Je dis non de toutes mes forces. »
Un seul devoir et c'est celui d'aimer : mièvre, facile à dire ? Quoique : à faire, moins facile, non ?
« Si vous dites : '' je ne comprends pas le christianisme, je veux vivre sans consolation'', alors vous êtes un esprit borné et partial. Mais si, vivant sans consolation, vous dites : ''je comprends la position chrétienne et je l'admire'', vous êtes un dilettante sans profondeur. Ça commence à me passer d'être sensible à l'opinion. » (septembre 37)
Il ne s'agit pas d'ignorer l'opinion, au contraire, il s'agit de l'analyser pour comprendre ses ressorts, de façon à ne pas suivre le troupeau des influencés, qui eux, n'y sont que "sensibles".