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  • Page blanche

    « On sait lire les livres remplis de mots, mais non ceux dont les pages sont blanches. »

    Hong Zicheng (Propos sur la racine des légumes II,8)

     

    Pour ceux qui sont remplis de mots, pas tout à fait sûr non plus qu'on sache les lire pour de bon. Lire ce qu'ils disent vraiment. Mais ce n'est pas le propos de Monsieur Hong, je vais donc m'abstenir d'ergoter sur ce point.

     

    « Page blanche : ach, ça vous fait penser à was ? 

    - Euh … angoisse de la page blanche ?

    - Ach, und Sie l'haben souvent, l'angoisse de la page blanche ?

    - Curieusement non, jamais. Étonnant non ?

    - Ach so, ja ja ... Und le trac, Sie haben le Trak wenn Sie haben à parler en public zum Beispiel ?

    - Pas plus. Re-étonnant non, avec toutes les angoisses que je me trimbale ? Mais bon, c'est pas que je m'ennuie avec vous, Herr Doktor, mais je voudrais bien revenir à la phrase d'Hong.

    - Ach ja ja les phrases des autres : gut Kontraphobischobjekt für l'angoisse de la weisse Blatt, nicht wahr ?

    - Non enfin oui peut être, mais en wahr c'est surtout que quand y a des mots qui sont bien autant en parler plutôt que d'autre chose. »

     

    Longtemps qu'il s'était plus pointé, Papa Freud.

    Peut être est-ce un message subliminal pour que je refasse quelques lectures de ses textes ? Il serait un peu jaloux ? Mais bon je vais pas faire d'interprétation sauvage à son propos ce serait un comble.

    Y a pas écrit Onfray.

     

    Bref les livres dont les pages sont blanches, pour ma part j'y vois toutes les vies restées ignorées ou mal connues, faute d'avoir laissé une trace sur un papier.

    Ou autre conservateur de mots : un disque par exemple. Et comme non seulement le son mais aussi l'image a son langage, ajoutons toutes ces vies dont ne reste pas non plus une photo, pas un bout de pellicule.

    Certaines pages sont blanches d'avoir été effacées dans les violences de l'Histoire. Mais d'autres n'ont simplement jamais été remplies. Souvent je pense à tant de vies muettes.

    Vies que nul n'aura pu lire car elles n'auront pas trouvé les mots pour se dire. (Ou simplement auront négligé de se dire).

    Quoique. Ces pages blanches sont au moins lisibles dans l'œil unique du monde (oui encore, en plus de tout le reste je suis monomaniaque j'y peux rien).

    Quant aux noms de leurs auteurs la liste en est inscrite dans le grand livre de la vie. Avec chacune de leurs existences telle qu'elle fut : unique et précieuse dans son unicité.

    Car ni les hommes ni leurs vies ne se mesurent à l'aune (Montaigne qui d'autre).

     

  • Sull'aria

     

    « Par une nuit où la lune brille sur la neige, on se sent soi aussi transparent. Par un jour où souffle une brise printanière on sent son esprit vibrer à l'unisson. »

    Hong Zicheng (Propos sur la racine des légumes II,93)

     

    Le jour où il a écrit ces mots, nul doute qu'il y était, Hong, dans l'œil unique du monde.

    Des mots qui disent de si belle façon l'exultation de se sentir relié. (Revoilà cette histoire de liaison libidinale). Un état où vous atteint dans toute son évidence l'absence de solution de continuité entre le monde perçu et soi qui perçoit : regarder par l'œil unique du monde, et ce faisant le devenir aussi soi-même.

     

    « Écouter avec un cœur paisible le bruit du vent dans un bois de pins ou le murmure d'un ruisseau sur les pierres, c'est connaître la merveilleuse musique de l'univers. » (II, 64)

    Dans la peinture chinoise le bois de pins est souvent présent. Il y a entre autres un tableau d'un dénommé Ma Lin (XIII°siècle) qui s'intitule En écoutant le vent dans les pins.

    (Ne vous étonnez pas, lecteurs, de cette référence pointue, elle vient d'un livre sur la peinture chinoise offert par une amie - il y a des éternités … Mais le temps compte-t-il dans l'œil unique du monde ?)

    Le vent dans les pins est également célébré en long en large et en travers dans nombre de haïkus (après la Chine le Japon).

    C'est vrai que le mouvement et le bruissement du vent dans les arbres (pins ou autres, dans ma rue y a un tilleul je ne vous dis que ça) a quelque chose d'apaisant et dynamisant à la fois.

    Il est porteur de souffle. Au sens concret, faisant respirer large. Au sens abstrait, revigorant l'esprit et la pensée.

     

    Et puis les phrases d'Hong nous disent aussi que l'œil unique du monde est tout autant une oreille.

    Ajoutons à ce propos que la merveilleuse musique de l'univers à l'unisson de laquelle on vibre, elle est dans la nature bien sûr, mais aussi dans certaines œuvres d'art, celles qui se sont créées dans l'œil unique du monde.

    Exemple entre mille : au 3° acte des Noces de Figaro la comtesse, sachant que son mari drague Suzanne sa camériste, dicte à celle-ci une lettre de rendez-vous pour le volage. (Il s'agit bien sûr d'un plan pour le confondre mais c'est une autre histoire).

    Où donc le rendez-vous ? Sotto i pini, sous les pins. (Si c'est pas raccord ça).

    Canzonetta sull'aria … commence la comtesse, et s'ensuit un duo à se mettre à genoux devant tant de grâce, de légèreté, de souffle et d'esprit.

     

    Car la merveilleuse musique de l'univers, s'il y en a un qui s'y entend, c'est bien Mozart.

     

     

  • Conversion énergétique

     

    « C'est au coucher du soleil que les nuages sont le plus lumineux. C'est vers la fin de l'année que les orangers sont le plus odorants. C'est au bout du chemin, au soir de la vie, que l'être noble doit sentir son énergie spirituelle se décupler.»

    Hong Zicheng (Propos sur la racine des légumes I,99)

     

    Voilà. On va dire ça. Un peu méthode Coué mais bon : quel choix on a ?

    Vieillir n'est déjà pas drôle, alors autant s'éviter la double peine. Décliner, s'affaiblir, s'affadir, puisque ainsi (s'en) va la vie, mais au moins que ce soit sans amertume.

    Je ne sais si c'est au coucher du soleil que les nuages sont le plus lumineux, mais il y a une chose dont je suis sûre : à ce moment où on sait qu'elle va disparaître, tout à coup on voit vraiment sa lumière, au soleil.

    Le miracle de la lumière. Si belle, si forte, si persévérante, si bienveillante. Comment ne pas ressentir envers elle gratitude et admiration, d'autant plus ferventes que la nuit approche.

    Alors par contre côté énergie spirituelle, pardon Hong, mais la mienne je la sens pas disons boostée à mort par l'approche du dernier bout de chemin. Faute de noblesse ?

    En tous cas je dirais plutôt je me dénoue de partout avec Montaigne (donc ouf : pas faute de noblesse). Une heureuse expression (à défaut que la chose le soit) que je relie à la pensée de Freud.

    Libido = force de liaison, intégration, construction. Pulsion de mort = déliaison.

    (Oui je sais je suis en boucle sur les mêmes. Je les prends en otage de mon radotage. C'est que n'ayant plus de temps à perdre, je vais à ce qui me va vraiment.)

    (Par contre vous avez remarqué à mon âge j'éprouve encore le besoin de me justifier. La névrose : en voilà un truc qui prend pas une ride).

    Bref ceci pour dire que jusqu'à un certain moment du parcours, rien de ce qu'on vit ne se perd, tout fait expérience, tout vous arrime au corps de la vie (parfois par un bricolage de bouts de ficelle, mais qu'importe).

    Et puis un jour (sans soleil) on a beau essayer encore, ça ne marche plus. Un truc s'est enrayé dans le moteur, ou bien on manque de carburant : toujours est-il que c'est la panne.

    Le stock d'énergie (spirituelle ou autre) non seulement ne s'est pas décuplé, mais il s'épuise, et on n'émet plus qu'une lumière bien faiblarde.

    Reste à accepter. Et suivre le conseil de Schopenhauer de se considérer de manière désintéressée, c'est à dire radicalement non narcissique. Comme de l'extérieur, de manière objective dit-il, un objet parmi les autres. (Comme un voisin, comme un arbre, dit Montaigne).

    Et là il paraît qu'on se voit vivant dans l'œil unique du monde.

    Bon ça le fait pas tout le temps, admet Schopenhauer, mais il suffit que ce soit arrivé une fois pour que ça change toute la perspective.

    Vous savez quoi : il a raison je crois bien.