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  • L'orgueil ou l'être soi (11/13)

    Robert le Petit voit l’étymologie du terme orgueil dans le francique urgôli, fierté.

    « Opinion très avantageuse, le plus souvent exagérée, qu’on a de sa valeur personnelle aux dépens de la considération due à autrui. »

    Avantageuse, valeur, voilà qui fait dresser notre oreille d’homo mercantilis (humain de l'ère du Tout-Marché).

    L’orgueil est ici défini comme une capitalisation psychique.

    Un solde positif pour l'ego dans l’opération du commerce relationnel.

    Aux dépens de la considération due à autrui : dans ce commerce-là aussi, il ne peut être question de simple équilibre et de réciprocité, il s’agit de gagner, de retirer un profit.

    Le gain narcissique de l’orgueil se fait au détriment de l’autre, comme si l’on ne pouvait augmenter sa part de marché qu’en absorbant la concurrence. Et nous voici une fois de plus ramenés à la figure fantasmatique du dieu de Caïn, dont la faveur a pour envers l’exclusion.

    Il faut ajouter à cela les implications du mot exagérée : l’auto évaluation met en jeu la spéculation.

    L’orgueil fait monter artificiellement le cours de l’action Ego, ce qui permettra de réaliser les opérations les plus avantageuses sur le marché boursier qui cote les différents narcissismes.

     

    Robert poursuit avec une citation. Il faut définir l’orgueil une passion qui fait que de tout ce qui est au monde on n’estime que soi. La Bruyère (eh oui).

    Élégance et concision de la langue classique, dont l’à-plat fait d’autant plus ressortir l’intense saturation de la couleur passionnelle. Pour Labru, l’orgueil n’est pas un capitalisme, c’est un totalitarisme.

    Vision logique sous le règne de Loulou Soleil.

     

    Antonymes (poursuit Robert) : modestie, simplicité, humilité, bassesse, honte.

    Les trois premiers mettent en évidence la parenté de l’orgueil avec l’hybris de la mythologie. Outrepasser les limites de sa condition humaine, déserter sa place assignée dans l’ordre cosmique, entrer en concurrence avec les dieux.

    Au contraire, modestie = s’en tenir à sa mesure, simplicité = ne pas chercher à en rajouter, humilité = adhérer à sa condition proprement terrienne.

    Bassesse permet de concéder à l'orgueil une coloration potentiellement positive. Une haute opinion de soi peut induire un comportement qui n’y fasse pas déroger.

    Ne pas s’abaisser à ce qui n’est pas digne de soi.

    Honte, expression d’une blessure narcissique ouvrant au ressentiment, laisse entendre que l’orgueil, inversement, peut être un réparateur de narcissisme positif, une assise de l’ego.

     

    L'occasion de quitter ici la disgrâce et ses tristesses pour entrer dans le domaine spinoziste de l'acquiescentia in se ipso : une paisible adhésion à soi.

    Je suis qui je suis, tout simplement.

     

  • L'envie ou la vie (10/13)

    Envie du latin invidia : jalousie, désir. Pas besoin d’acrobatie étymologique pour rapprocher invidia et invidere de videre : voir.

    Ce qui ne manque pas de nous rappeler, outre toutes les histoires de mauvais oeil, l’angle mort de la vision divine provoquant l'inconfort existentiel de Caïn. (cf Genèse 4 et ce que j'en disais en lisant Zarathoustra 13-17/03/15).

     

    « 1) Sentiment de tristesse, d’irritation et de haine envers qui possède un bien que l’on n’a pas. 

    2) Désir de jouir d’un avantage, d’un plaisir égal à celui d’autrui. »

    dit Robert

    Le 2) n'est pas nécessairement dommageable. On peut en effet vouloir un bien au même titre que l’autre. Il n'y a pas de raison que ça se passe mal, du moins quand il n’y a pas pénurie.

    Car en situation de pénurie, quand il n’y a pas de quoi pour tous, il est logique de passer du désir normal d'égalité à l'envie envers l’accapareur (ou supposé tel).

    Alors vient la question du sens, de la justification ou pas de l'inégalité.

    C’est pourquoi, comme l’a remarqué Platon et d’autres à sa suite, la question de l'envie est indissociable de la démocratie. Raison pour laquelle il rejetait la démocratie, forcément nuisible à la stabilité sociale.

    Et clairement posa qu'il fallait que certains soient « plus égaux » que les autres. Dans son idée les aristocrates le méritaient étant les meilleurs (aristos = le meilleur).

    Une tautologie, preuve de plus que Platon est ou bien de mauvaise foi ou bien dans le déni de la réalité. Ou les deux. (Mais qui suis-je pour débiner Platon?)

     

    L’accaparement noue un lien solide entre avarice et envie. L’avarice implique l’envie. Ceux qui amassent en Suisses, ou dans les banques suisses, enfin je veux dire dans leur coin, font de l’ombre aux autres qui en prennent forcément ombrage.

    Et l’envie peut aussi impliquer l’avarice : accumuler l’avoir pour soi, c’est se prémunir contre le risque que l’autre ait davantage que soi, donc contre le risque de l’envier. Imparable, non ?

    Logique statique, logique pétrifiante.

    Car quel est l'antidote au poison de l'envie ? Choisir la vie qui est mouvement, ouverture vers l'avenir.

     

    Telle est la leçon du jugement de Salomon (1er livre Rois chap 3  v.16-28 je reprends ici ce que j'en disais sur un exemple politique le 30 avril dernier).

    Deux femmes se disputent le même enfant. Au départ chacune avait le sien, mais l'un des deux est mort. Salomon dit : coupez-l'enfant en deux, chacune sa part et basta.

    L'envieuse, qui veut juste que l'autre n'ait pas ce qu'elle n'a pas (car l'enfant mort est le sien en fait) dit OK.

    Mais l'autre dit : donnez-le à cette femme, qu'il vive !

     

  • L'avarice ou le vif argent (9/13)

    La parole est d'argent et le silence est d'or. D'où le secret bancaire, d'où l'extrême discrétion des vrais riches sur leur fortune (et pas seulement auprès du fisc).

    À propos d'argent, il faut cependant dire une chose : il n'est pas seulement négatif. Du point de vue éthique je veux dire.

    Car certes de tous les autres points de vue sa positivité saute aux yeux. Par exemple si on met en perspective le solde de son compte en banque et la somme des factures que l'on a à acquitter.

    L'argent fut positif au plan éthique car

    1) sa création fut libération pour l'humanité. Finie l'obligation de rester attaché à une terre pour subsister.

    2) en tant qu'équivalent universel il détacha du fétichisme de la chose pour la chose. Arracha au tangible et à l'immédiat, ouvrit le monde symbolique.

    3) son fonctionnement ne pouvait reposer que sur la confiance.

    L'ennui c'est que tout ça c'est fini.

     

    L'argent lui-même est fétichisé, a cessé d'être un moyen d'équivalence pour devenir une fin.

    Quant à la confiance, pour quelqu'un de sain d'esprit, elle est incompatible avec le fonctionnement bancaire et boursier actuels, arnaqueurs par structure. (Je ne m'étends pas voir les crises les plus récentes, disons depuis 2008).

    Notre système actuel, la religion du capitalisme financier, a ainsi tué son dieu à force de l'honorer. Le vif-argent est mort.

    Quoi qu'on en dise, quelque discours qu'on tienne sur la circulation des capitaux. Les capitaux circulent, mais pas la richesse. Au contraire ils ne circulent que pour se concentrer. Telle est la vérité de la mondialisation.

    Et tel est le visage difforme, vraiment disgracieux, de l'avarice contemporaine.

    De nos jours l'avare capitaliste-financier se prétend en outre créateur de richesse. Harpagon, lui au moins, se contentait d'accaparer les richesses et ne prétendait pas les créer.

     

    Ajoutons que l'avarice concerne l'argent et les possessions matérielles mais pas seulement.

    L'Avare Harpagon est un vieux. Un vieux salaud qui jouit du pouvoir que lui donne l'argent sur les jeunes. Au lieu de partager avec ses enfants, il les réduit à attendre sa mort pour vivre.

    Entre autres il vend sa fille à un vieux pour économiser la dot, tout en s'achetant une jeunette pour son propre compte. (À relire, ô lecteurs, Molière y est au top de son génie).

    L'avarice de soi existe aussi : s'économiser comme on dit, ne pas donner son temps, son attention, son amour.

    Une avarice qui est avarie de communication, intempérie de partage.