C'est pour n'être pas victime d'un assassin que l'on consent à mourir si on le devient.
(II,5 Du droit de vie et de mort)
Rousseau tente par cet argument de justifier la légitimité du Souverain à user de la peine de mort.
Argument dont il reconnaît implicitement l'absurdité dans cette ironique remarque : il n'est pas à présumer qu'aucun des contractants (du pacte social) prémédite alors de se faire pendre.
Une absurdité si l'on peut dire double face.
Ou bien l'aspirant meurtrier pense réellement ainsi (dans la mentalité de l'époque bien sûr, où peu de voix encore s'élevaient contre la peine de mort). Autrement dit il a souscrit au contrat social de bonne foi. Dans ce cas il y a fort à parier que son intériorisation de la loi et son désir du bien commun ne pourront qu'inhiber sa tendance déviante.
Ou bien il n'a eu aucun scrupule à souscrire mensongèrement au contrat, les yeux dans les yeux s'il le fallait. Aussi pervers que cynique, il pense que la loi est pour les autres. Elle doit le servir, mais ne saurait lui poser des limites.
Dans les deux cas, comme le dit élégamment Bruno Bernardi, tout rend donc ce chapitre hétérogène à la démarche du Contrat social. (Bref il sert trop à rien dans le raisonnement).
L'ennui c'est qu'il a inspiré (et inspire encore) de légers excès.
Comment ne pas songer aux Comités de salut public, de sûreté générale, aux purges staliniennes, maoïstes ou autres, assorties d'autocritiques, aux fatwas punissant les mécréants, quand on lit : (celui qui) devient par ses forfaits rebelle et traître à la patrie, il cesse d'en être membre en violant ses lois, et même il lui fait la guerre. Alors la conservation de l'État est incompatible avec la sienne.
Là encore, sensible sans doute à l'énormité du propos, Rousseau l'atténue ainsi : Au reste, la fréquence des supplices est toujours un signe de faiblesse ou de paresse dans le Gouvernement. Il n'y a point de méchant qu'on ne pût rendre bon à quelque chose
(on le préfère comme ça, notre Jean-Jacques, hein ?)
Et d'enchaîner sur le droit de grâce. Les cas d'en user sont très rares dans un État bien gouverné parce que les criminels y sont rares. Donc en gros dans la société qu'il propose, peine de mort et droit de grâce partagent logiquement la même impertinence.
C'est vrai que ce chapitre est là pour pas grand chose, donc. Ou peut être juste pour sa conclusion en forme d'esquive bien révélatrice de son rapport compliqué à la notion de culpabilité.
Mais je sens que mon cœur murmure et retient ma plume ; laissons discuter ces questions à l'homme juste qui n'a point failli, et qui jamais n'eut lui-même besoin de grâce.
Un débat pas près d'être tranché donc (j'entends celui des sanctions pénales en général, mais en continuant à refuser la barbare autant qu'inutile peine de mort).