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  • Un corps intermédiaire

    Dans une note au début du livre III, Bruno Bernardi rappelle la logique qui structure le Contrat social. Je le cite :

    "R., recourant à la métaphore démiurgique de la création du corps politique comme être artificiel, avait déjà noté (CS II,6 cf supra Par une inspiration subite) « Par le pacte social nous avons donné l'existence et la vie au corps politique : il s'agit maintenant de lui donner le mouvement et la volonté par la législation. »

    La volonté, pour se mettre en œuvre, doit disposer d'une force d'exécution. C'est le gouvernement.

    Sous ce regard, la démarche est limpide : livre I, venue à l'existence du corps politique (le contrat ou pacte d'association) ; livre II, manifestation de cette existence comme volonté (la souveraineté ou volonté générale) ; livre III, exécution de cette volonté (le gouvernement)."

    Ouf. Merci Monsieur Bernardi. Ça fait du bien une bonne petite synthèse d'étape dans un parcours qui n'est pas exactement une promenade de santé …

     

    Bref en ce début du livre III la question est :

    Qu'est-ce donc que le Gouvernement ?

    Un corps intermédiaire établi entre les sujets et le Souverain pour leur mutuelle correspondance, chargé de l'exécution des lois, et du maintien de la liberté, tant civile que politique. (III,1 Du Gouvernement en général)

    Toute la subtilité de l'affaire, c'est que, si l'on a bien suivi (et on a bien suivi), les sujets et le Souverain sont les mêmes, mais considérés sous deux angles différents.

    Les sujets sont une collection disparate d'individus, le Souverain ces mêmes individus agrégés en un être collectif, le peuple contractuel (né du contrat social).

    Le Gouvernement a pour fonction de maintenir l'énergie de liaison du Souverain, du corps social.

    Il doit donc constamment catalyser la transformation de l'individu (avec ses besoins et désirs personnels) en citoyen (participant des besoins et désirs de l'ensemble du corps) (qui incluent certains des siens, mais pas tous) (c'est là où le bât blesse).

    Une transformation qui ne peut naturellement jamais être achevée, et qui doit prendre des modalités diverses au gré des différentes forces centrifuges risquant de désagréger le Souverain.

    Les besoins et désirs de l'individu « au naturel » et du citoyen sont fortement liés, interdépendants : c'est en cela-même que réside la pertinence du Contrat (cf supra Un engagement réciproque).

    Mais voilà : ils ne sont pas superposables en tout et pour tout. On l'a déjà dit, l'intérêt de tous n'est pas la somme arithmétique des intérêts de chacun, mais leur somme intégrale (voir supra Ôtez les plus et les moins).

    Mettre en œuvre au mieux et au maximum la mutuelle correspondance entre chacun avec ses intérêts propres et les responsables de l'intérêt de tous, telle est la tâche complexe et ardue du Gouvernement.

     

     

  • Deux objets principaux

    Si l'on recherche en quoi consiste précisément (...) la fin de tout système de législation, on trouvera (…) ces deux objets principaux, la liberté et l'égalité.

    À l'égard de l'égalité, il ne faut pas entendre par ce mot que les degrés de puissance et de richesse soient absolument les mêmes, mais que, quant à la puissance, elle soit toujours au-dessous de toute violence et ne s'exerce jamais qu'en vertu du rang et des lois, et quant à la richesse, que nul citoyen ne soit assez opulent pour pouvoir en acheter un autre, et nul assez pauvre pour être contraint de se vendre.

    C'est précisément parce que la force des choses tend toujours à détruire l'égalité, que la force de la législation doit toujours tendre à la maintenir.

    (II,11 Des divers systèmes de législation)

     

    Parmi les philosophes des Lumières inspirateurs de la Révolution française, c'est Rousseau qui a le mieux vu et formulé le lien indissoluble entre liberté et égalité.

    En particulier en ce qui est le schibboleth de la vision politique de gauche : l'égalité en droit et en fait est la condition sine qua non d'une réelle liberté.

    Dans son argumentation, on dirait qu'il répond ici par avance à Tocqueville. On connaît la méfiance de celui-ci envers la passion de l'égalité, qui serait le ver dans le fruit démocratique, pourrissant par l'envie le lien social si elle manque trop, limitant le progrès économique si elle progresse trop.

    Une belle aubaine idéologique pour de prétendus libéraux. (Tocqueville lui l'était authentiquement). 

    Rousseau formule clairement l'impossibilité de la dissociation de ces deux valeurs, elles n'existent vraiment qu'ensemble.

    Il n'est de société réellement libérale (et tout simplement viable) que celle qui refuse que l'inégalité tue la citoyenneté. 

    Certes ce n'est pas pour autant qu'on va donner quitus à quelques horreurs historiques. Égalité que de crimes on a commis en ton nom, par exemple dans des régimes prétendus communistes.

    Dans la dernière phrase il faut souligner tend toujours, doit toujours tendre. L'endiguement de l'entropie sociale est le travail jamais achevé de la loi. Il faut imaginer le Législateur en Sisyphe.

     

    Liberté, égalité : et la fraternité dans tout ça ?

    Pour nous, on se le demande, hein ? 

    Pour Rousseau elle est notre horizon évident d'êtres humains, indispensable à notre survie. Et à ce titre elle passe par ce qui fait l'humain avant tout pour lui : la raison.

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Un moment de fermentation

    L'usure du ressort civil produit ce que Rousseau nomme un moment de fermentation, où chacun s'occupe de son rang et non du péril (qui menace l'ensemble du corps social).

    On serait dans un de ces moments de fermentation que ça ne m'étonnerait pas.

    Dans la plupart des États de la planète où existe encore un peuple au sens de Rousseau, c'est à dire ceux dont le fonctionnement se veut démocratique (au moins en droit sinon parfaitement en fait), on a comme l'impression que chaque parti, association, syndicat, est plus soucieux du maintien de son rang que des périls.

    (Périls mineurs il est vrai, genre désastre écologique, menaces terroristes, instabilité géopolitique et économique …). Ils mettent leur énergie à rivaliser entre eux au lieu de s'allier, de coopérer en vue du bien commun (qui commence par l'évitement des maux).

    Y a des jours on a envie de leur rappeler la devise d'Hippocrate primum non nocere*.

     

    Et ce qui est vrai des partis à l'intérieur d'une nation l'est aussi entre nations si l'on considère des ensembles tels que l'Europe par exemple au hasard. Je sais je l'ai déjà dit.

    Mais cette rivalité absurde est tellement sidérante. Et si lourde de menaces vu les ressorts incivils utilisés (genre peur haineuse des immigrés).

    Quant aux (nombreux) États du monde où la tyrannie est bel et bien installée (quoique moche et mauvaise), la fermentation a déjà viré en gangrène du corps social (dont un symptôme est logiquement la corruption en termes sonnants et trébuchants, et à tous niveaux).

    Mais soyons optimistes : assignés à la barbarie (cf ce mot note précédente), les habitants de tels États peuvent (re)trouver la motivation et le courage d'acquérir leur liberté.

     

    Pour nous ici aujourd'hui la question est moins périlleuse mais aussi décisive : trouver les moyens de remettre en bon état de fonctionnement notre ressort civil.

    Il est clair que ce n'est pas un boulot pour frimeurs ou boute-feu irresponsables, mais pour artisan(e)s patients et consciencieux.

    L'ennui c'est qu'il y a foule chez les premiers et que les seconds sont bien rares.

     

    * D'abord ne pas nuire.