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  • Rendre à César

    « Ce que je dois

    À mon grand père, à mon père, à ma mère, à mon arrière-grand-père, à mon gouverneur, à Diognète, à Rusticus, à Apollonius, à Sextus, à Alexandre le grammairien, à Fronton, à Alexandre le Platonicien, à Catule, à mon frère Sévère, à Maxime, à mon père adoptif, aux dieux. »

    (Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même livre I)

     

    Ces dédicaces, dont certaines sont longuement développées, constituent le premier livre des Pensées. Elles accusent réception de legs reçus selon trois canaux.

    Premier canal, sa famille. Il faudrait dire plutôt ses familles, la biologique et l'adoptive.

    Marc-Aurèle fut adopté et désigné pour successeur par l'empereur Antonin surnommé le pieux. C'était paraît-il quelqu'un de fort recommandable, qui réussit à ne pas faire la guerre (un challenge dans son job comme on ne disait pas à l'époque).

    Globalement, avec la dynastie des Antonins, Rome (et donc le monde) a pu un peu déstresser après les règnes pleins de bruit et de fureur des Césars (mention spéciale à Néron et Caligula). Du moins jusqu'à Marco, parce que son fils Commode ne le fut pas comme on sait.

    Mais bref si l'on devait résumer d'un mot le legs que Marc-Aurèle pense avoir reçu de ses familles, ce serait noblesse. Noblesse de cœur et d'âme, combinant sens du devoir et aptitude à la liberté, exigence de vérité assortie de tolérance.

    Deuxième canal, ceux qui l'ont formé, éduqué, gouverné, s'employant à renforcer et ordonner son caractère, ses connaissances, ses aptitudes, dans l'optique de ses futures responsabilités d'empereur avant tout.

    Ce second legs peut se résumer dans ce vers que Corneille fait dire à l'empereur Auguste (dans Cinna) :

    je suis maître de moi comme de l'univers. 

    Troisième canal les dieux. Disons le divin, envisagé comme élément de transcendance à l'œuvre dans le monde et l'humain, pour les informer l'un et l'autre. Cet élément englobe les autres, car ce chapitre dédicatoire se clôt ainsi « Tout cela, je le dois aux dieux secourables et à la Fortune ».

     

    Bon évidemment ce cher Marco ne pèche pas par excès d'humilité : comme par hasard il n'a reçu que de belles et bonnes qualités qui font de lui l'homme civil, courageux, magnanime, honnête, intelligent, dont il entend laisser l'image à la postérité.

    Espérant que d'autres (successeurs, enfants, autres philosophes et hommes de pouvoir, et finalement chaque lecteur) puissent un jour écrire « ce que je dois à Marc-Aurèle : le meilleur de moi-même ».

     

    N'empêche cette litanie à ses saints personnels reste émouvante je trouve, et incite le lecteur à se remémorer les figures tutélaires de son parcours à soi.

    (Et comme lui, à passer sous silence les moins tutélaires).

     

  • Pensées pour moi-même

    Le titre de Marc Aurèle (empereur philosophe, philosophe empereur) (je fais l'impasse sur le moment wikipédia) est Pensées tout court. Mais comme c'est un titre souvent pris, la traduction a fait cet ajout discriminant.

    Ajout pertinent, le titre ainsi complété rend bien le mode d'être au monde, de rapport à soi et aux autres qui ressort de cet écrit : 

    Ce n'est pas ci ma doctrine, c'est mon étude, et ce n'est pas la leçon d'autrui, c'est la mienne (Essais II,6 De l'exercitation), comme dit pour sa part Montaigne. Lui qui chez les auteurs antiques cherche le côté personnel, et ne se prive pas à l'inverse d'ironiser sur leurs propos pédantesques.

    En fait, en commençant (je n'avais jamais lu ce texte en entier, j'avoue), j'ai ressenti une déception, à la mesure du bain de sagesse revigorante et apaisante à la fois que j'en attendais.

    Il y a des formules magnifiques de liberté et de simplicité, oui, mais ce côté pesant de l'idéalisme platonicien et du volontarisme stoïcien, décidément … La recherche de lâcher-prise y prend une forme appliquée, obsessionnelle. (Un paradoxe peut être pas évitable?)

    Bref j'ai ressenti au premier abord un déficit de vibration, de résonance à ce texte.

    « Aussi bien beaucoup de choses se retrouvent avec tellement plus de chair et d'esprit, de subtilité, sous la plume de Montaigne, tellement plus de puissance illuminatrice sous celle de Spinoza », me suis-je dit. Non sans ajouter dans cet auto-débat « qui suis-je pour faire la fine bouche devant Marc-Aurèle ? »

    (Quelqu'un qui n'a pas peur du ridicule assurément) (ce qu'il aurait approuvé en fait dans son exhortation à prendre de la distance avec l'opinion).

    Et puis, peu à peu, je me suis approchée. Trouvant, dans les mots du texte, (merci Traductrice*), la présence vraie, directe, la façon de cet homme complexe.

    Comme avec Montaigne finalement, et quelques autres.

    Tous les jours m'amuse en lire en des auteurs, sans soin de leur science, y cherchant leur façon, non leur sujet. (Essais III, 8 De l'art de conférer)

     

    *Traduction de Frédérique Vervliet. Édition Arlea 1992.

     

  • Evident

    Le bonheur et le malheur me rendent également malheureux. Pourquoi alors m'arrive-t-il quelquefois de préférer le premier ?

    Cioran (Aveux et anathèmes)

     

    Peut être pour ceci : La lumière de l'aube est la vraie lumière, la lumière primordiale. Chaque fois que je la contemple, je bénis mes mauvaises nuits qui m'offrent l'occasion d'assister au spectacle du Commencement. Yeats la qualifie de « lascive ». Belle trouvaille évidente.

    Oui évidente c'est le mot. La pensée ouvre à l'imagination du malheur (au-delà de sa simple épreuve). Le corps, lui, l'animal, reste arrimé au réel, sans commentaire.

    S'il souffre il souffre c'est « comme ça ». Et s'il est dans le bien-être il n'ira pas s'inventer un complexe de Damoclès.

    D'où la justesse de la constatation Il faut qu'une sensation soit tombée bien bas pour qu'elle se mue en idée. Cioran y fait écho à Nietzsche.

    Les pensées sont les ombres de nos sensations – toujours plus sombres, plus vides, plus simples que celles-ci. (Le Gai savoir 179 Pensées).

    Sauf qu'en fait comme la mutation de la sensation en idée et sentiment est le fait humain majeur (cf entre autres Freud), l'immédiateté du bonheur c'est pas si facile.

    Mais bon on va pas s'embarquer là-dedans, restons dans l'évidence, sœur jumelle de la facilité (cf 1-03-19).

     

    Les pleurs d'admiration, unique excuse de cet univers, puisqu'il lui en faut une.

    Oui enfin si je peux me permettre, c'est plutôt une excuse pour l'être humain, une justification pour toutes ses horreurs et mochetés.

    L'univers, lui, n'a pas besoin d'excuse, étant ce qu'il est, il est parfait (comme dit Spinoza).

     

    Chaque fois que le futur me semble concevable, j'ai l'impression d'avoir été visité par la Grâce.

    Tu sais quoi ? Vas-y, propose-lui de rester, qu'est-ce que tu risques. Fais genre Bach « que ma joie demeure » (cf 13-04-19)

     

    À saint Séverin, en écoutant, à l'orgue, l'Art de la Fugue, je me disais et redisais : « Voilà la réfutation de tous mes anathèmes ».

    Voilà. Tu vois, quand tu veux.