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  • Au coin de la rue (saison 2) : à la porte

     

    Au propre ou au figuré 

    Scotchée sur la porte vitrée de l'agence d'intérim une feuille qui dit « Ne forcez pas la porte, nous vous ouvrons. »

                                                                             

                

    Schizophrénie 

    Sur la vitrine du magasin de chaussures deux étiquettes.

    L'une dit « prix nets », l'autre « prix fous ».

    Un magasin où l'on est un peu à côté de ses pompes ?

     

     

    Plan marketing

    Dans le local d'exposition, de gigantesques acryliques moches et convenues, à la fois criardes et sans message. Mais assis au soleil sur un coussin devant sa vitrine, le jeune galeriste est ma foi assez charmant.

    S'il veut faire des affaires, il devrait plutôt vendre des portraits de lui.

     

     

    Musclez votre CV

    Sur un panneau publicitaire une photo de jeune sportif et cool, avec la légende « La salle de sport qui te ressemble ».

    Et dessous « En face de Pôle Emploi ».

     

  • Et quand personne (17/17) En chair et en os

    Les Essais peuvent être vus comme un tombeau (au sens d'hommage) pour La Boétie. Cela a souvent été dit.

    Mais cette remarque en amène une bien plus décisive pour le lecteur des Essais.

    Montaigne en cet écrit donne symboliquement à son lecteur, à chacun de nous, lecteurs, la place-même de l'ami perdu.

    Sa place d'interlocuteur privilégié pour la réflexion, de confident pour le cœur.

     

    « Outre ce profit que je tire d'écrire de moi, j'en espère cet autre que, s'il advient que mes humeurs plaisent et accordent à quelque honnête homme* avant que je meure, il recherchera de nous joindre :

    je lui donne beaucoup de pays gagné (lui épargne beaucoup de chemin), car tout ce qu'une longue connaissance et familiarité pourrait avoir acquis en plusieurs années, il le voit en trois jours de ce registre, et plus sûrement et exactement.

    Plaisante fantaisie : plusieurs choses que je ne voudrais dire à personne, je les dis au peuple, et sur mes plus secrètes sciences ou pensées renvoie à une boutique de librairie mes amis les plus féaux. »

    (Essais III,9 De la vanité)

     

    En écho à la célèbre formule quasi sacramentelle de son lien à La Boétie « Si l'on me presse de dire pourquoi je l'aimais je sens bien que cela ne se peut exprimer qu'en répondant : parce que c'était lui, parce que c'était moi.** » (I,28 De l'amitié),

    Montaigne nous adresse, lecteur-trice, ces mots :

    « S'il y a quelque personne, quelque bonne compagnie aux champs, en la ville, en France ou ailleurs, resséante (sédentaire) ou voyagère, à qui mes humeurs soient bonnes, de qui les humeurs me soient bonnes**, il n'est que de siffler en paume, je leur irai fournir des Essais en chair et en os. »

    (III, 5 Sur des vers de Virgile)

     

    Elle me plaît, cette incitation à me lâcher par ce geste aussi insolent qu'enfantin.

    Incitation à me mettre au diapason de la liberté légère de Monsieur des Essais : J'ai fait ce que j'ai voulu (cf 13/17).

    Cette phrase signe l'aboutissement du travail du deuil de l'ami perdu : le deuil se résout dans la joie de cet élan pour se rendre présent, se donner à chaque lecteur (et lectrice).

     

    La Boétie et Montaigne sont morts, et nous mourrons (me suis-je laissé dire). Mais tant qu'il y aura des lecteurs, vivra Monsieur des Essais, pour de bon présent dans la chair de ses mots.

     

     

    *On sait que le premier honnête homme à répondre à cette invitation fut une femme, Marie de Gournay.

     

    **Parallélisme des deux constructions :

    parce que c'était lui/de qui les humeurs me soient bonnes

    parce que c'était moi/à qui mes humeurs soient bonnes

     

  • Et quand personne (16/17) Je le donne irrévocablement

    « Ce que nous engendrons par l'âme, les enfantements de notre esprit, de notre courage et suffisance (talent), sont produits par une plus noble partie que la corporelle, et sont plus nôtres (…)

    Car la valeur de nos autres enfants est beaucoup plus leur que nôtre ; la part que nous y avons est bien légère ;

    mais de ceux ci toute la beauté, toute la grâce et prix est nôtre.

    (Montaigne Essais II,8 De l'affection des pères aux enfants)

     

    Quiconque a eu l'occasion de produire un écrit (ou autre création), même de peu de poids et d'importance, a vécu ce processus d'enfantement de notre esprit en trois temps : conception, gestation, mise au monde.

     

    En début de chapitre, Montaigne rappelle la conception de son livre :

    « C'est une humeur mélancolique, et une humeur par conséquent très ennemie de ma complexion naturelle, produit par le chagrin et la solitude en laquelle il y a quelques années que je m'étais jeté, qui m'a mis premièrement en tête cette rêverie de me mêler d'écrire.

    Et puis, me trouvant entièrement dépourvu et vide de toute autre matière, je me suis présenté moi-même à moi, pour argument et pour sujet. »

    (II,8)

     

    L'écriture fut une stratégie de défense contre l'ennemi tristesse qui s'est glissé à travers la brèche ouverte par le deuil de La Boétie (et de son père).

    Il a d'abord voulu en user comme d'un évitement, un divertissement, juste en annotant ses lectures.

    Mais très vite s'est imposée la nécessité de lutter au cœur du sujet comme il le formule ici. Dévitalisé par la perte de La Boétie*, il se reconstruit, se ré-enfante par et dans son écrit.

    Au bout de ce processus, il constate qu'un renversement se produit. Le sujet d'écriture prend la main sur le sujet réel.

    Montaigne ici le reconnaît comme on reconnaît un enfant, et en fait non seulement son héritier, mais aussi son légataire, acceptant désormais de dépendre de lui.

    « À celui-ci, tel qu'il est, ce que je donne, je le donne purement et irrévocablement, comme on donne aux enfants corporels ; ce peu de bien que je lui ai fait, il n'est plus en ma disposition ;

    il peut savoir assez de choses que je ne sais plus, et tenir de moi ce que je n'ai point retenu et qu'il faudrait que, tout ainsi qu'un étranger, j'empruntasse de lui, si besoin m'en venait.

    Il est plus riche que moi, si je suis plus sage que lui. »

    (II,8)

     

     

    « Depuis le jour que je le perdis je ne fais que traîner languissant. Nous étions à moitié de tout (...) il me semble n'être plus qu'à demi. » (I,28 De l'amitié)