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  • Au coin de la rue : personae

    L'anthropologie appliquée ne manque pas non plus de matière avec l'observation des masques.

    La façon de les porter (ou pas) est support (ou affichage) d'affirmation de sa personnalité, ses opinions, ses choix de vie.

     

    Le masque étant obligatoire ici en centre ville, qui ne le porte pas, surtout ostensiblement, tient à proclamer son esprit d'indépendance, sa rébellion :

    on me la fait pas à Moi, à bas les flics qui nous contrôlent, les toubibs qui nous contraignent, le gouvernement qui nous prend pour des cons.

    Chaque fois que je croise un de ces grands révoltés, je me demande si, dans le légitime souci de préserver sa liberté et celle des autres, il a entrepris de boycotter certaine plateforme de livraison qui asservit ses employés, tue le commerce de proximité (et pas que), règne sur les bourses mondiales en faisant la nique au fisc.

    Je me demande également si ce grand méfiant vérifie une information avant de la retweeter, soucieux de ne pas répandre une rumeur, de ne pas se laisser aliéner à la première théorie du complot qui passe ...

     

    Le choix du masque lavable plutôt que jetable affirme une préoccupation écologique. Ou un souci d'économie.

    Ce qui est non seulement compatible, mais à conjuguer. Cela dit il y a aussi plusieurs formules pour faire durer les masques jetables, et ainsi limiter un peu ces déchets non recyclables.

     

    Le masque mal positionné, laissant le nez libre (parfois même porté sur le menton, en bavoir) laisse entendre :

    oh moi je fais juste semblant parce qu'on m'oblige. Parce que vous savez quoi, ce virus j'y crois pas. Et puis au pire il y a Sainte Chloroquine, bénie soit-elle, et son prophète.

    C'est fou le nombre de gens qui vivent dans la pensée magique, me dis-je, parfois en riant, d'autre fois bien vénère.

    Qu'ils soient porteurs ou pas du virus, ce qui est sûr qu'ils n'ont pas la bosse des maths. Ils n'ont pas encore saisi le mécanisme d'une épidémie, qui n'est pas sorcier, lui : faut juste savoir compter.

    C'est en CP qu'on apprend la multiplication, non ? Bon OK pour calculer les cas potentiellement graves, faut aussi intégrer les pourcentages, là on est au moins en CM1.

     

    Et puis il y a les autres. Petits bouts de chou si fiers de porter le masque comme les grands, élégantes qui l'ont intégré comme un accessoire de garde-robe, et varient les styles les tissus les formes, selon les occasions.

    Hier j'ai croisé une femme au masque-clown : sourire jusqu'aux oreilles, nez rouge. Moi qui portais le masque passe-partout que la municipalité a distribué au printemps, je me suis vue comme le fade clown blanc face à l'Auguste.

     

  • Au coin de la rue : communication

    Ces trucs-là

    Devant la boutique de téléphonie un homme, la soixantaine. Il tient en main une de ces choses plates que l'on caresse dans une fièvre de connection. Il dit au jeune vendeur : « Et avec ça c'est possible d'aller sur le truc où vont les jeunes ? »

    Le truc, me dis-je, il doit parler de twitter ou whatsapp, un truc comme ça.

    Mais le vendeur (comment a-t-il deviné) :

    « Internet ?

    - Oui c'est ça, internet. »

     

    Comme quoi quelqu'un de mon âge plus nul que moi dans ces trucs-là, c'est possible.

     

     

    Typologie téléphonique

    Si je devais produire une statistique, je dirais que parmi les autres piétons que je croise dans mes balades, environ un tiers est au téléphone.

    Une bonne occasion de faire en mon for intérieur un peu d'anthropologie appliquée.

     

    Il y a le téléphone doudou.

    Exemple cette femme qui semble à la remorque de son interlocuteur invisible, s'agrippant au boîtier comme elle le ferait de son épaule

    (mari, amant, agent administratif qu'elle a enfin réussi à avoir au bout du fil ?)

     

    Il y a le téléphone joujou.

    Exemple cet homme, le gros écran rouge face à lui, qui pianote, très concentré.

    J'ai l'impression de voir un gamin avec son téléphone factice, en train de jouer à « comme un grand ».

     

    Il y a le téléphone coucou.

    Exemple cette jeune femme, une main poussant la poussette de son bébé, l'autre prise par un sac de courses. Téléphone calé entre épaule et oreille, elle semble poursuivre un dialogue recommencé dix fois par jour avec la meilleure copine.

    « Ah oui au fait tu sais j'ai oublié de te dire »

     

  • Au coin de la rue : bonjour Madame merci Mamie

    Je marche sur le boulevard dans le look Daft Punk qui m'est à présent coutumier : masque réglementaire, lunettes noires pour la lumière et le vent, chapeau pour protéger mes oreilles sensibles.

    Un enfant en tricycle (5 ans peut être) me croise en me saluant d'un bonjour Madame enjoué.

    Il a trouvé tout naturel apparemment de s'adresser à cette figure impénétrable de robot. Habitude de voir les adultes masqués à l'école ou ailleurs, sans doute.

    En tous cas le robot en a le cœur tout ensoleillé.

    Je suis sensible aussi au Madame, fort rarement ajouté au bonjour, même chez des adultes.

    Croisant quelques pas plus loin la grand mère qui accélère le pas pour ne pas se faire trop distancer, j'ai envie de la féliciter pour cet enfant si réellement poli, si spontanément gentil.

     

    Toujours mon look Daft Punk, je suis assise au soleil sur un banc du parc après une petite sortie dans les limites imposées, 1h 1km.

    Arrive un groupe de jeunes, des sacs en papier à la main. Ils viennent pour goûter entre amis sans doute.

    Je les vois jeter un regard circulaire, cherchant assurément, comme je l'ai fait tout à l'heure, un banc au soleil. J'allais partir de toutes façons : je me lève.

    En me croisant, l'un d'eux, me souriant (ben oui, pas de masque) malgré l'apparence claquemurée de mon visage, me lance :

    Merci Mamie, on cherchait une place au soleil.

    J'avais compris, je partais de toutes façons.

    Merci c'est gentil, répète-t-il. Aussi spontané et réjouissant que l'enfant l'autre jour.

     

    Bon, en revanche, Mamie j'apprécie moyen.

    Oui je sais : qu'est-elle d'autre, cette petite dame aux cheveux blancs sur un banc du parc ? Il faut l'accepter, le passage du temps qui flétrit le narcisse en vous.

    Il y a eu le moment où l'on a cessé de me dire Mademoiselle, où Madame s'est mis à être évident pour les interlocuteurs.

    Plus tard ce fut l'époque où ne m'appelaient plus Mademoiselle que les forains du marché, me hélant pour me vendre leurs salades.

    Aujourd'hui les forains disent au mieux la petite dame, mais parfois eux aussi, Mamie.