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Blog - Page 327

  • La musique adoucit les moeurs

    Je préfère la musique de Wagner à celle de quiconque. Elle fait tant de bruit qu'on peut parler d'un bout à l'autre du morceau sans que les gens entendent ce qu'on est en train de dire.

    Oscar Wilde (Le portrait de Dorian Gray)

     

    Je me souviens avoir assisté à une représentation de L'Or du Rhin durant laquelle mon voisin de fauteuil passait le temps en mangeant des bonbons. Il les extrayait l'un après l'autre du papier cellophane ou je ne sais quoi, produisant force crissements.

    Avait-il lu Wilde et en déduisait-il que son geste ne nuisait pas à l'audition du maître de Bayreuth ? Ou était-ce juste un gros beauf ?

    À l'époque, encore pleine de patience, j'ai attendu un bon moment avant de l'informer qu'il me gênait (apparemment il ne gênait pas les autres) (ils ne parlaient pas pourtant, sans doute dormaient-ils malgré le volume sonore).

    En homme courtois il s'est arrêté aussitôt ma remarque.

    Pour reprendre son manège cinq minutes après (comme le gros beauf qu'il était, donc) (et tout ça sans m'offrir un bonbon) (je les aime pas mais quand même) (sauf les caramels) (à petites doses bien sûr).

    Bref vous savez quoi c'est bien tombé pour lui que je ne sois pas fan absolue de Wagner. Au lieu de L'Or du Rhin c'était La Flûte enchantée, faites-moi confiance le mec se prenait deux tartes dans la gueule au premier bonbon.

     

    En fait dans Wagner ce que je préfère, c'est la réplique d'un personnage de Woody Allen : Quand j'entends du Wagner, j'ai envie d'envahir la Pologne.

    Non je plaisante il y a des choses fort belles.

    Et puis comment ne pas évoquer l'immortelle séquence d'Apocalyse now au son de la Walkyrie. Séquence fascinante, jouant avec les troubles affects (et la pulsion de mort) que peuvent révéler en nous certaines sensations musicales.

    Indépendamment de ses accrochages avec Wagner, il est clair que c'est cette perception qui a conduit Nietzsche à honnir sa musique, à en faire un tabou, après l'avoir idolâtrée.

    Bon l'ennui c'est qu'il a déclaré dans la foulée que le nec plus ultra musical c'était Carmen de Bizet, justement parce que d'après lui ça exaltait la libido. Ça laisse songeur, aussi bien sur son esthétique que sur sa conception de la libido (mais ceci ne nous regarde pas).

    Enfin bref c'est pas pour cafter mais y en a qui ont l'oreille plus sûre. Je ne parle pas de moi (enfin oui aussi). Mais dans la catégorie des philosophes, par exemple, on peut penser à la réflexion de Kierkegaard sur la musique de Don Giovanni.

     

     

     

     

  • Simplement élégant

    Quand nous sommes heureux, nous sommes toujours vertueux, mais quand nous sommes vertueux, nous ne sommes pas toujours heureux.

    Oscar Wilde (Dans la conversation)

     

    La béatitude n'est pas la récompense de la vertu, c'est la vertu même.

    Spinoza (Éthique Part.5 prop. finale)

     

    Une similitude bien improbable, je l'admets. Et pourtant indéniable, non ?

    Naturellement, il ne faut pas s'emballer et son flegme garder. Cette paraphrase de l'Éthique n'est certainement ni voulue ni consciente.

    Quoi de commun entre le dandy dublinois-londonien se pavanant dans les salons et le philosophe cloîtré dans sa chambre à Amsterdam ? N'ont-ils pas vécu comme sur deux planètes distantes de milliers d'années-lumière ?

    Quoique ?

    En tous cas (contrairement à Spinoza, ou pas) il donne sans doute à la notion de bonheur, et par là de vertu, une connotation plus sensuelle que sentimentale ou morale.

    Une connotation esthétique au sens propre. (aisthêsis = sensation)

    Car si quelque de chose ressort de la vie et des paroles d'Oscar Wilde, c'est la conviction que l'esthétique est un des meilleurs chemin vers l'éthique. Peut être le seul.

    Le secret de la vie, c'est de ne jamais éprouver une émotion qui ne soit pas seyante. (Une femme sans importance)

     

    On peut voir là un comportement superficiel de privilégié. C'est vrai. Mais rappelons-nous aussi que lorsque Wilde se trouva accusé d'immoralité et menacé de prison, il assuma avec panache d'affronter son sort, et refusa de fuir comme ses amis le lui proposaient.

    La fin de sa vie a ainsi prouvé que l'élégance tapageuse du dandy poseur n'était pas incompatible avec le sobre courage de l'homme. Bien plus, confronté au mépris et à la haine, il se révéla tout naturellement capable d'échapper à la laideur du ressentiment.

    Ce fut sa suprême élégance.

     

    La vie n'est pas complexe. C'est nous qui le sommes. La vie est simple et une chose simple est une chose juste.

    Oscar Wilde (lettre à Robert Ross, écrite dans la prison de Reading)

     

     

     

  • Un ami qui vous veut du bien

    N'importe qui peut compatir aux souffrances d'un ami, mais il faut une nature très noble – en fait celle d'un véritable individualiste – pour se réjouir de ses succès.

    Oscar Wilde (L'âme humaine)

     

    Le terme d'égoïste se précise ici en celui d'individualiste.

    Sans me vanter, voilà qui confirme la validité de la notion d'incomparable avancée la dernière fois.

    En effet, qu'entend Wilde par véritable individualiste ? Non quelqu'un qui ferait fi de la présence des autres, refuserait d'entrer en relations avec eux.

    Il désigne une aptitude à l'autonomie, qui va de pair avec la précieuse qualité spinoziste d'acquiescentia in se ipso.

    Comment ça c'est quoi ça que c'est ?

    « La Satisfaction de soi (acquiescentia in se ipso) est une Joie née de ce qu'un homme se contemple lui-même ainsi que sa puissance d'agir. »

    (Éthique Partie 3 définition 25)

    = je me contente (au sens fort et positif) d'être qui je suis. L'AISI est en somme l'inverse de ce qu'en psychanalyse on appelle faux self.

    (cf fév-mars 2016 mon abécédaire sur Spinoza entrée Humilité ambitieuse)

     

    Le véritable individualiste n'a besoin de personne pour se sentir quelqu'un, et même (dans le meilleur des cas) quelqu'un de bien. Il n'éprouve donc pas le besoin de se grandir aux dépens d'autrui, en débinant ce qu'autrui a, est, ou fait.

    Le véritable individualiste est peu passible de tendance à la comparaison.

    Et par là peu accessible aux sentiments de jalousie.

    Une comparaison et une jalousie qui, on le sait bien, sont exacerbées par la proximité. Le footballeur évadé fiscal trouve grâce aux yeux de qui nourrit de la rancoeur envers son voisin qui s'est payé une nouvelle bagnole.

    C'est pourquoi

    On peut toujours être gentil avec des gens dont on se moque totalement. (Le Portrait de Dorian Gray),

    Tandis que

    Il est bien difficile de ne pas être injuste envers ceux que l'on aime. (Le Critique en tant qu'artiste)

    Pour un narcisse de salon, on dirait qu'il ne connaissait pas si mal la vie, Mister Wilde.