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Le blog d'Ariane Beth - Page 225

  • Foules sentimentales (13/16) La pulsion quoiquesque

    Freud envisage la « pulsion grégaire » (On est toujours dans Psychologie des foules et analyse du moi chap.9) à partir du livre de Trotter Instincts of the herd in peace and war (Londres 1916).

    Trotter désigne la pulsion grégaire comme primaire et pas davantage dissociable.

    Il n'en faut pas plus pour attiser la pulsion quoiquesque de Sigmund, toujours porté à l'analyse sur l'axe synchronique (le donné actuel) autant que diachronique (chercher comment l'actuel s'est formé au cours du temps).

     

    Objection 1 Mister Trotter : vous tenez trop peu compte du rôle du meneur.

    Objection 2 : meuh non « l'angoisse du petit enfant délaissé ne s'apaise pas à la vue de n'importe qui d'autre 'du troupeau' », ce qui serait le cas si la pulsion grégaire était primaire.

     

    Freud pense plutôt qu'elle se construit de façon réactionnelle à une constante humaine. « (Le sentiment grégaire) se forme dans la nursery aux nombreux enfants, à partir du rapport des enfants à leurs parents, et il se forme en réaction à la jalousie initiale avec laquelle l'aîné accueille le plus jeune. »

    L'élimination du rival, ou simplement une hostilité trop forte à son égard est impossible sans dommage personnel : en l'occurrence déplaire aux parents qui aiment aussi ce nouvel enfant.

    Alors « il est contraint à l'identification aux autres enfants et il se forme dans la troupe d'enfants un sentiment de foule ou de communauté. »

    Bon ça vaut ce que ça vaut. En tous cas ça évoque un passage célèbre des Confessions de st Augustin, où un enfant tire la gueule en voyant son frère de lait à la mamelle. Et bien sûr l'histoire de Caïn et Abel Genèse chap.4.

     

    L'intéressant c'est ce que Freud en tire pour les bases du fonctionnement social.

    « La première exigence de cette formation réactionnelle est celle de la justice, de traitement égal pour tous. (…) Cette exigence d'égalité est la racine de la conscience sociale et du sentiment du devoir. »

    Je me sens partie-prenante de la société à condition que je ne me sente pas lésé. Mais inversement ce que je veux pour moi je dois aussi, logiquement, le vouloir pour les autres.

    « Le sentiment social repose ainsi sur le retournement d'un sentiment d'abord hostile en un lien à caractère positif, de la nature d'une identification. »

    Quoique, poursuit Freud, il y en ait un dans l'histoire qui soit « plus égal ».

     

    « Risquons-nous donc à corriger l'affirmation de Trotter : l'homme est un animal de troupeau (Herdentier), en disant qu'il serait plutôt un animal de horde (Hordentier), être individuel d'une horde menée par un chef.

     

  • Foules sentimentales (12/16) Trop faible seul

    Au chapitre suivant, Freud revient sur le comportement régressif de l'individu enfoulé :

    « Les signes d'affaiblissement du rendement intellectuel et de désinhibition de l'affectivité, l'incapacité de se modérer et de temporiser, la tendance au dépassement de toutes les limites dans l'expression des sentiments et à leur décharge totale dans l'action. »

    (Psychologie des foules et analyse du moi chap.9 La pulsion grégaire).

     

    Une telle régression est inhérente davantage aux foules ordinaires (un mot encore après éphémères et primaires) (le flou lexical signe les tâtonnements de la réflexion) qu'aux foules artificielles, hautement organisées.

    « Ainsi avons-nous l'impression d'un état dans lequel la motion affective isolée et l'acte intellectuel personnel de l'individu sont trop faibles pour se faire valoir seuls et sont absolument forcés d'attendre que la confirmation leur vienne d'une répétition identique chez les autres. »

    (Toute ressemblance avec la recherche de clics approbateurs sur les réseaux sociaux n'est pas fortuite).

     

    Et du coup forcément « l'énigme de l'influence de la suggestion s'accroît pour nous (…) et nous nous faisons le reproche d'avoir mis unilatéralement l'accent sur la relation au meneur, en repoussant injustement celui de la suggestion réciproque. »

     

    Parenthèse. Les écrits de Freud, s'ils sont intéressants par leur contenu, le sont au moins autant par leur mode de formulation. Freud associe le lecteur à sa réflexion en lui présentant au fur et à mesure les divers états d'un work in progress.

    Bon quiconque connaît un peu le bonhomme saura corriger en « ce qu'il donne pour » un work in progress. Vieille ficelle rhétorique de captatio benevolentiae.

     

    Pour ma part je marche, malgré la petite manipulation.

    J'y lis surtout une paradoxale et touchante naïveté dans l'exposition de son désir d'auteur :

    « ne me lâche pas lecteur, sans toi je parle dans le vide. Même si Onfray ou d'autres trouvent que je parle pour ne rien dire, c'est pas grave. Car le pire, vois-tu, c'est de ne parler pour personne. »

     

  • Foules sentimentales (11/16) Un détour du narcissisme

    « Dans l'état amoureux une certaine quantité de libido narcissique déborde sur l'objet. Dans maintes formes de choix amoureux, il devient même évident que l'objet sert à remplacer un idéal du moi propre, non atteint. »

    (Freud Psychologie des foules et analyse du moi chap.8. État amoureux et hypnose)

     

    Bref, résume Freud cyniquement, l'amour n'est jamais qu'un détour pour satisfaire son narcissisme. Mais le narcissisme finit mal, sinon en général, en tous cas dans « ses développements extrêmes qu'on appelle fascination, sujétion amoureuse.»

    Alors le mouvement identificatoire s'inverse. Au contraire de s'augmenter des qualités de l'objet le sujet « est appauvri, il s'est abandonné à l'objet, a mis celui-ci à la place de son élément constitutif le plus important. » Plus qu'appauvri donc, évidé, et remplacé par un autre-soi.

     

    « Il n'y a manifestement pas loin de l'état amoureux à l'hypnose. Même soumission humble (…) même absence de critique (…) même résorption de l'initiative ; aucun doute, l'hypnotiseur a pris la place de l'idéal du moi. »

    En effet, poursuit Freud renvoyant à son article Compléments métapsychologiques à la théorie du rêve, « parmi les fonctions de l'idéal du moi, il y (aurait) aussi l'exercice de l'épreuve de réalité. » 

    Quelle qu'en soit l'explication, la distorsion de réalité joue un rôle non négligeable dans le mécanisme d'enfoulement. C'est un fait que nous pouvons constater dans maints exemples actuels. Surtout (et logiquement) pour les foules virtuelles s'agrégeant au hasard des réseaux.

     

    Inversement « on peut dire aussi que la relation hypnotique est – si cette expression est permise – une formation en foule à deux. » (Je permets, Sigmund, très joli).

    Et ainsi « De la structure compliquée de la foule, elle isole pour nous un élément, le comportement de l'individu en foule envers le meneur. »

    C'est l'élément décisif pour donner la formule de la constitution libidinale d'une foule. (Du moins précise-t-il, une foule primaire et non secondaire, devenue une organisation cf supra l'église et l'armée)*.

    « Une telle foule primaire est une somme d'individus, qui ont mis un seul et même objet à la place de leur idéal du moi et se sont en conséquence, dans leur moi, identifiés les uns aux autres. »

    Donc un phénomène d'identification où c'est la fascination, la sujétion amoureuse pour le meneur qui est le trait unaire (cf 10/16) suffisant.

     

    *Freud voyait-il dans sa lucidité que certain meneur fascinait assez la foule pour conférer à son parti nazi (foule secondaire) les pires caractères de la foule primaire ?

    De fait la distinction foule primaire (éphémère) et secondaire (organisée) reste floue dans tout l'article (cf 4/16).