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Le blog d'Ariane Beth - Page 330

  • Pigeonnés

    Les vautours et les pigeons (livre VII,8) présente une situation qui ne nous est pas tout à fait étrangère.

    Le peuple vautour,/Au bec retors, à la tranchante serre,

    Pour un chien mort se fit, dit-on, la guerre.

    Il plut du sang ; je n'exagère point.

    T'inquiète, on te croit sur parole : les guerres entre vautours retors, entre faucons qui le sont pour de vrai, on sait ce que ça donne.

    Ce que ça prend, surtout, car le moins qu'on puisse dire c'est que dans ces cas-là le chien mort fait des petits. Maint chef périt, maint héros expira.

    Euh non je voulais pas parler des états-majors, où globalement la guerre reste vivable, mais bien des troufions de base, et plus encore des civils innocents comme on dit.

    Tout élément remplit de citoyens/Le vaste enclos qu'ont les royaumes sombres.

    Oui voilà.

    Après on fait quoi ? On peut jouer les autruches, poser en colombe sur le drapeau de l'ONU juste pour le selfie. Après nous le Déluge.

    Ou bien on peut se conscientiser, se dire on est tous concernés, homo sum nil humanum mihi alienum ce genre de choses.

    Cette fureur mit la compassion/Dans les esprits d'une autre nation

    Au col changeant, au cœur tendre et fidèle.

    Il s'agit des pigeons, que La Fontaine apprécie particulièrement.

    (Il ne visitait pas Venise apparemment, quant au nettoyage de son rebord de fenêtre sans doute qu'il le sous-traitait à quelque accorte servante).

    Ambassadeurs par le peuple pigeon/Furent choisis, et si bien travaillèrent,

    Que les vautours alors plus ne se chamaillèrent.

    Tout est donc pour le mieux dans le meilleur des mondes. On va pouvoir se lancer dans la reconstruction, buseness as usual (diront les buses), show must go on (diront les paons).

    Sauf que le peuple vautour lance vite fait un plan de nettoyage ethnique sur ces saletés de pigeons, en fit un ample carnage,/En dépeupla les bourgades, les champs.

    Après quoi en guise de morale à la fable on a droit à du Machiavel pour les nuls.

    Tenez toujours divisés les méchants:

    La sûreté du reste de la terre/Dépend de là.

    Semez entre eux la guerre,/Ou vous n'aurez avec eux nulle paix.

    Ouais ... Ça eut marché, je veux bien (et encore faut le dire vite). Mais pas besoin d'être un aigle pour comprendre que cette stratégie a depuis longtemps du plomb dans l'aile.

    D'ailleurs JLF conclut en ce sens moi vous savez je dis ça je dis rien : Ceci soit dit en passant. Je me tais.

    Et comme je n'ai hélas pas de solution anti-vautours, ben j'ai plus qu'à me taire pareil.

  • I believe I can fly

    Le message de La laitière et le pot au lait (livre VII,10) est très simple : faut pas rêver.

     

    C'est vrai quoi : Perrette aurait dû choisir la sécurité et le réalisme. Plutôt que perdre son temps à envisager un concept chimérique d'entreprise agricole bio intégrée et à taille humaine, elle aurait mieux fait de s'inscrire direct au pôle-emploi local.

    Elle aurait postulé à la ferme des 1000 vaches pour un poste où épanouir sa créativité en management bovin, satisfaire son aspiration au travail en équipe, mettre en œuvre ses connaissances et compétences acquises durant son cursus de formation.

    Le tout pour une rémunération attractive et des perspectives de carrière alléchantes.

     

    Au début de la fable cependant, elle fait plaisir à voir, la petite Perrette, bien dans sa peau et ses pompes, dans la belle énergie d'une jeunesse que l'expérience n'a pas encore alourdie

    Légère et court vêtue, elle allait à grands pas,/Ayant mis ce jour-là pour être plus agile,/Cotillon simple et souliers plats.

    Si optimiste, si confiante en la vie et en elle-même :

    « Il m'est, disait-elle, facile/D'élever des poulets autour de ma maison :

    Le renard sera bien habile,/S'il ne m'en laisse assez pour avoir un cochon. »

    On n'a qu'une envie, c'est qu'elle réussisse. Mais le narrateur l'attend au tournant.

    La Fontaine est-il en cette affaire saisi du sadisme inconscient des soignants et éducateurs (et moralistes) ?

    (Ach Ariane, ich allais le sagen). (Ja ich weiss, Papa Sigmund, aber ich adore parlieren à votre Platz).

    Ou peut être JLF fait-il preuve ici (ce n'est pas incompatible) d'une ironique auto-dérision envers ses propres rêves et ambitions ?

    Son Perrette c'est moi en quelque sorte.

     

    Quoi qu'il en soit, toute à l'image de son futur veau gambadant, elle est gagnée par l'euphorie (aurait-elle fumé certaine herbe du pré, dûment prohibée pourtant par un édit du Roy?) 

    Perrette là-dessus, saute aussi, transportée.

    Le lait tombe. Et elle aussi, de haut. Reste plus à la pauvre fille qu'à aller s'excuser à son mari,/En grand danger d'être battue.

    Bref la voici à tous points de vue fracassée tout pareil que Rimbaud par la rugueuse réalité.

    Cette mésaventure aura-t-elle définitivement coupé les ailes à la petite Perrette ? J'aime à croire au contraire qu'elle saura rebondir. Grâce à son conseiller de pôle-emploi, naturellement.

    Il lui dira « Bon vous avez eu quelques accidents dans votre parcours professionnel, mais vous savez, être une héroïne de La Fontaine, c'est pas donné à tout le monde : c'est le grand plus de votre CV ».

    Et c'est là qu'elle boira du petit lait, Perrette.

  • Le roi l'âne ou moi

    Le monde n'a jamais manqué de charlatans.

    Cette science de tout temps

    Fut en professeurs très fertile.

    D'après Robert le mot charlatan vient de l'italien parler avec emphase.

    En fait le côté fallacieux du discours charlatanesque est sa prétention performative. Le charlatan veut faire croire qu'il suffit qu'il dise pour que cela soit.

    Ça marche d'autant mieux quand il est mythomane, et croit lui-même à son discours. Ce qui arrive assez souvent.

    Excepté dans le domaine économique ou politique, où le charlatan est plutôt cynique que mythomane (mais y a des cumulards).

     

    La charlatan de la fable éponyme (livre VI,19) se vante d'avoir une méthode infaillible pour rendre disert un badaud,/Un manant, un rustre, un lourdaud.

    Autrement dit il fait commerce d'une panacée anti-bourrins.

    Justement, le prince du lieu en a un, de bourrin :

    « J'ai, dit-il, dans mon écurie/Un fort beau roussin d'Arcadie (= un âne)

    J'en voudrais faire un orateur.

    - Sire, vous pouvez tout », reprit d'abord notre homme.

    Oui ça c'est le ba ba des démagogues et autres charlatans : dire aux gens ce qu'ils ont envie d'entendre. L'étonnant en revanche c'est que le prince veuille former son âne à la rhétorique.

    Quoique. Quoi de mieux qu'un âne pour embobiner des veaux ?

    Bref le prince propose un marché : il donne au mec certaine somme et dix ans pour mettre son âne sur les bancs (de l'université, pour sa thèse).

    Et si ça ne marche pas, l'homme doit être pendu.

    Le charlatan n'est pas dissuadé pour autant de toper là. Il ferait donc partie de la catégorie des charlatans mythomanes ?

    J'imagine que le prince ne s'était pas moqué de lui côté fric, parce que ça suscite les jalousies. Quelqu'un des courtisans le raille méchamment. (Mais avec beaucoup d'esprit et de drôlerie). (C'est le bon côté d'être un personnage de génial styliste).

     

    Avec la réponse du charlatan tout à coup la fable bascule, quittant le registre de satire sociale.

    L'autre reprit : « Avant l'affaire/Le roi, l'âne, ou moi, nous mourrons. »

    Un polar politique ?

    Le charlatanisme en couverture d'un espion infiltré à la cour au service d'une puissance ennemie, dans le but d'instaurer la dictature des ânes et/ou des charlatans ?

    Que nenni. Avec cette histoire d'âne, foin de satire sociale ou polar politique : tout ceci était considération existentielle.

    Il avait raison. C'est folie/De compter sur dix ans de vie.

    Soyez bien buvants, bien mangeants:/Nous devons à la mort de trois l'un en dix ans.

     

    Ainsi le charlatan s'est révélé philosophe. Ce qui est moins fréquent que l'inverse.

    Et je ne veux nommer personne.