J'ai glané (et me suis amusée à commenter) il ya quelque temps des phrases dans un recueil de sentences chinoises. Aujourd'hui je vous livre un petit parcours animalier.
Patience ! Avec le temps, l'herbe devient du lait. (Proverbe)
A condition d'être vache, non ? Et de plus une vache non anorexique, car pour que l'herbe devienne du lait, il faut bien la brouter, l'ingérer, la ruminer. Il faut avoir de l'appétit, et de l'appétit pour cette herbe-là, celle du petit carré d'alpage ou du bout de lande que la vie vous a alloué. Et inutile, sous peine d'aigrir votre lait, de lorgner sur le pré d'à côté dont l'herbe paraît tellement plus verte. Quant à compter sur un hypothétique bon berger qui vous conduise aux verts pâturages de vos rêves, est-ce bien raisonnable ?
Le chien au chenil aboie à ses puces ; le chien qui chasse ne les sent pas. (Proverbe)
Jolie métaphore. Au passage, question : pourquoi la métaphore est-elle la figure de style par excellence ? Peut être parce qu'elle rend compte de l'énergie synesthésique qui unit la sensation, le sentiment, la pensée. Elle tient bon sur le lien corps-psyché qui est le fondamental humain. C'est pourquoi les métaphores les plus parlantes sont, comme ici, celles qui relient le prosaïque le plus quotidien, trivial, humble, et les réalités disons faute de mieux duhaut - grandes pensées philosophiques et existentielles. La métaphore est une échelle de Jacob dans l'écriture.
En outre, malgré ma ridicule phobie des chiens réels, les personnages et représentations de chiens me sont particulièrement sympathiques. Il y a par exemple cette extraordinaire œuvre de Goya : un petit museau de chien émerge du noir, dans le tiers inférieur de la toile, les deux tiers supérieurs surplombant le petit chien d'un ciel-muraille noir, brun ocre, qui s'éclaire seulement d'un rectangle lumineux, évanescent, autour de la petite tête. Un tableau prodigieux, et une belle métaphore pour le coup de la tension du peintre entre la prégnance de ses pensées noires et son désir de s'en remettre à la simplicité de la vie à vivre au jour le jour.
Bref, pour en revenir à ce proverbe, on est bien sûr d'une certaine façon radicalement toujours des chiens au chenil, enfermés dans les limites et les difficultés de notre condition humaine. Il faut savoir s'évader du chenil où, forcément, on ne s'occupe qu'à chercher la petite bête, où on s'épuise à la lutte perdue d'avance contre la dévoration des puces. S'évader et se consacrer à la chasse, c'est à dire se trouver un désir à pister, quel qu'il soit. On sait que beaucoup de désirs et de chasses sont dérisoires, mais qu'importe, ils sont mouvement. Et on peut y trouver notre plaisir existentiel sans en être dupe. C'est ce que dit si magnifiquement Montaigne en parlant des philosophes sceptiques dans son chapitre sur Raimond Sebond (II, 12) : Il ne faut pas s'étonner si gens désespérés de la prise n'ont pas laissé d'avoir plaisir à la chasse. Y a-t-il une meilleure définition d'une acceptation sereine et joyeuse de sa condition humaine ?
Si vous ne pouvez empêcher les oiseaux de malheur de voler au-dessus de vos têtes, au moins vous pouvez les empêcher de faire leurs nids dans vos cheveux ! (Proverbe)
Cette histoire d'oiseaux me fait immédiatement visualiser les pires scènes du film d'Hitchcock. J'ai facilement une répulsion phobique à l'égard de ces bêtes-là. Est-ce l'œil rond, les pattes plus ou moins griffues, les becs ? En plus je les trouve laids : ce gros corps sur des petites pattes, cette allure d'automates quand ils ne volent pas (comme dirait Baudelaire). Exemple les pigeons : laids, cons, et en plus qui fientent partout. Seuls trouvent grâce à mes yeux les grands rapaces en vol, à qui je reconnais une esthétique d'envergure. Mais surtout, du point de vue de la teneur de ce proverbe, ce qui est terrifiant avec les oiseaux, c'est qu'ils arrivent d'en haut, ils vous fondent dessus, comme on dit, et vous attaquent là où vous êtes le plus vulnérable, la tête, la face, les yeux. Parfaits donc pour imager autrement un complexe de Damoclès.
Faire leurs nids dans vos cheveux. Rien que lire ces mots me donne la chair de poule (tiens, encore un oiseau). Je sens leurs pattes racler mon cuir chevelu, leurs becs me tirailler les cheveux et s'y emberlificoter, et leurs fientes les engluer. Beurk beurk beurk. Pour continuer dans le film d'horreur, imaginons les monstres que seraient pour une tête enfantine des poux de la taille de pigeons, hein ? Au bout du bout, je crois qu'on tombe plus ou moins sur l'image du crâne du pendu, fendu par les becs des corbeaux qui viennent y becqueter la cervelle.
Bref, une métaphore efficace. Elle m'a permis un bon exercice cathartique. Car de manière plus abstraite, ce proverbe peut se résumer à une exhortation à ne pas se laisser prendre la tête par les angoisses. Et rien de tel que de les fatiguer, les angoisses, avec un petit moment hitchcockien.
Commentaires
Pourtant, les colibris...
Bien vu ! Co-libri ça me plaît bien. Il faut aussi rendre justice aux simples alouettes, au rossignol et à son chant. Il y a donc aussi des oiseaux de bonheur ...