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Chapitre 9 (ça sent l'écurie ...)

 

Chapitre 9 : Tout poêle est-il nécessairement cartésien ?

 

L'ego en vaut-il la chandelle ? Descartes pour les nuls

Qui dit déménagement, dit toujours plus ou moins à l'arrivée maison, home sweet home, ce genre de choses. Foyer quoi. Et qui dit foyer peut dire beaucoup de choses : bûcher, Jeanne d'Arc, autodafés, Inquisition, marrane, Spinoza (y a pas, on y revient toujours). Mais aussi, dans un registre plus quotidien, cheminée, pommes de terre sous la cendre, marrons grillés. Ou bien poêle. Ce qui est notre cas. Car, dans notre nouveau home issu de notre déménagement, nous nous chauffons au poêle. Ce qui, est-il utile de le préciser (peut être oui), est en totale adéquation avec notre positionnement cartésien.

En effet, d'après des sources proches et concordantes, il paraît que Descartes vécut assez longtemps dans un poêle. Faut-il en déduire qu'il aspirait à se faire réduire en cendres de son vivant, de façon à accéder directement au Panthéon dès le début de sa mort ? Évidemment non. La raison c'est que n'étant pas un jouisseur du style de Charly Bod, Descartes méprisa les vastes portiques dans le soleil marin et tout ce qui s'ensuit, et squatta courageusement dans des bleds assez frisquets, du style Amsterdam ou Stockholm. Or dans ces contrées nordiques, aussi étonnant que cela paraisse, on pratique comme chez nous la métonymie. Du moins on la pratiquait à l'époque. Et ainsi on nommait du même nom, parméton, l'objet chauffant et la pièce où il officiait. C'est à dire poêle. Appellation homologuée dans le port d'Amsterdam aussi bien que dans les rades de La Haye.

 

  • Ça alors !

  • Quoi ? Ne me dis pas que t'as encore bugué ! Euh, que ton ordi …

  • Non, l'ordi ça va.

  • Qu'est-ce qui t'arrive encore alors ?

  • Si je te dis La Haye, tu penses à qui ?

  • Au voisin qui est censé tailler la sienne qui commence à bloquer la fenêtre de la salle de bains. Tu prépares une feuille de route pour le processus de normalisation dans le cadre de la définition d'une zone de sécurité ?

  • Non, pas cette haie-ci, l'autre. Là-bas aux Pays Bas, enfin là-haut. Tu devineras jamais ce que je viens de trouver dans le concurrent direct de Bob !

  • Sur la Haye ?

  • Non, sur Descartes, enfin dans son entrée, page 1596. Figure-toi … T'es bien assis là ?

  • C'est à ce point ?

  • Carrément dément, je te dis ! Bon. Spinoza est mort à la Haye, tu te souviens ?

  • A vrai dire, je n'ai plus que des images assez floues de son enterrement ... Tu comprends c'était il y a un moment déjà, y avait pas mal de brouillard, normal vu la saison, et puis on a fait ça assez discrètement, rien de très marquant genre funérailles nationales ou transfert des cendres au Panthéon …

  • C'est vrai c'est fou quand on y réfléchit des gens de cette pointure inhumés à la sauve qui peut, je veux dire à la va comme je te pousse, comme Mozart tout ça, c'est scandaleux, quand il y a tant de nuisibles qu'on a embaumés, ou mis dans des mausolées …

  • Et donc, La Haye ?

  • Oui, donc Spinoza est mort à La Haye, et tu sais où Descartes il est né ?

  • Tu sais ou tu sais pas ?

  • Non, mais ça m'étonnerait que ce soit en Hollande, c'est quand même notre génie national, emblématique de la rationalité bien française. Il nous aurait pas fait ça.

  • Oui, pas de lézard, de hasard, enfin bref oui il est né en France. En douce France de Touraine, en Indre et Loire exactement dans un bled qui s'appelle Descartes, pour tout dire.

  • Ah bon, comme Montaigne alors ?

  • Oui, si tu veux, sauf que c'est dans l'autre sens. Le bled s'appelle Descartes, aujourd'hui. Comme Ferney s'appelle Voltaire, comme Cabourg s'appelle Proust, enfin Balbec, non je veux dire comme Guermantes … Enfin, tu vois ?

  • Oui, ils ont donné au bled le nom du grand homme.

  • Voilà. Et tu sais comment ça s'appelait quand Descartes y est né ?

  • La Haye ?

  • Comment t'as deviné ???

  • Au terme d'un raisonnement more geometrico qui m'a fait inférer des effets aux causes, et voir l'unité substantielle de la nature naturée et de la nature naturante.

  • Oui, c'est logique. Mais bon, tu trouves pas ça trop génial ? Comme un signe du destin ? Que forcément à un moment quelque chose les unirait – tout en les séparant aussi si on veut ...

  • Et qu'ils échangeraient quelques propos transitionnels de bon voisinage de part et d'autre de la haie, à propos de leurs domaines respectifs de spéculation.

  • Ben. Oui. En fait c'est ça.

 

Enfin la haie, c'est Spinoza qui l'a sautée, pour aller inspecter le domaine de Descartes. Parce que malheureusement les lois de la chronologie et de la biologie réunies font que si Descartes, lui, avait voulu aller sur les plantes-bandes de Spinoza, il lui aurait fallu une sacrée pratique du kung-fu, pour faire comme Uma Thurman dans Kill Bill. Le temps a joué contre lui. Trépassé comme il était quand Spinoza se mit à penser, il lui aurait fallu salement ramer pour remonter jusqu'à La Haye.

Les grands esprits se rencontrent (comme dit Roberto) : peut être, mais souvent le match reste indécis. Par bonheur Spinoza était très fair-play, il n'a pas profité outre mesure de l'avantage stratégique que lui conférait le hasard de sa position postérieure, même si çà et là il a laissé entendre que Descartes l'avait parfois joué petit bras.

 

A propos de postérieur, Spinoza posait-il le sien aussi près d'un poêle que le faisait Descartes, personnellement je n'en mettrais pas ma main au feu. Tout laisse à penser qu'il supportait avec équanimité les hivers humides et glaciaux, sans se plaindre de n'avoir pas l'opportunité de cocooner douillettement dans le confort d'un mobilier suédois. La preuve, il est mort de la tuberculose ou un truc du genre, pas à dire c'était vraiment un dur à cuire.

Toujours est-il que d'autres grands esprits se rencontrent puisque nous aussi nous disposons d'un poêle. Un poêle à granulés de bois, et par conséquent honnêtement écologique. Pas autant naturellement que si nous utilisions l'électricité nucléaire. Mais nous pouvons dire pour notre défense que Descartes ne le fit pas non plus. Il avait peut être ses raisons ?

 

Bon nous disons donc poêlepodzoliser, poecile, poecilotherme … ah, therme, on approche, et voilà :

1 poêle n.m. 1 vieux. Drap recouvrant le cercueil, pendant les funérailles. « Tenir les cordons du poêle » 

Il commence fort, ce sacré Bob, sur ce coup-là : si on voulait échapper aux questions existentielles, c'est raté. Je me demande si je vais pas plutôt retourner à poecilotherme ?

Poecilotherme v.poïkilotherme ah oui quand même. Poïkilotherme : se dit des animaux dont le sang a une température variable (reptiles, poissons, etc.). Oui. Bon. Je suis pas sûre que ça nous éloigne tant que ça du sujet, parce que le vieux mec sous le poêle 1 il est comme qui dirait passé du chaud au froid, lui aussi. Bon tant pis, on n'y peut rien, on est embarqué.

 

2 anciennement. Ouais, vieux, anciennement, il le fait exprès ou quoi ? On dirait que du point de vue de Bobus, le poêle c'est pas l'actualité brûlante. Voile tenu au dessus de la tête des mariés, dans la liturgie catholique. Ah bon ? Catholique ? « Après avoir été à genoux coude à coude sous le poêle de moire blanche » Hugo. Bon, alors catholique, OK. Quoique. Aussi bien il l'invente la citation, Bobard. Trouvez pas ça louche, vous, « Hugo » sans précision ? Franchement ça sent l'arnaque. Parce que je suis sûre que c'est pas dans Notre Dame de Paris. Alors, catholique, je veux bien … Enfin, je vais pas polémiquer, j'ai un Précis sur le feu, moi.

Au passage, hein, feu, en voilà un mot fourre-tout, pas un mot valise, mais carrément un mot malle des Indes, un mot container de déchetterie, un mot silo de têtes nucléaires. Pour n'en rester qu'au plan technique dira-t-on feu mon père, feu ma mère ou bien feue ma mère, en voilà une colle, hein ? En fait moi je sais. Et y en a à qui je pourrais dire que c'est pas tout à fait inutile de compulser compulsivement les dicos et autres grammaires. Suivez mon regard. Bref. C'est le verbe être. Au passé simple. Feu égale fut. Donc, vous n'écrirez pas feue ma mère. CQFD. En revanche, si vous intercalez du feu entre un nom et son déterminant, alors vous êtes obligé de le traiter en adjectif, et donc de l'accorder. Exemple vous direz feu la marquise, mais la feue marquise.

La feue marquise avait un jour rougi sous le poêle de moire blanche, moi aussi je peux pasticher Hugo si je veux …

 

2 Poêle 1 Appareil de chauffage clos où brûle un combustible. Sobre et technique. Trop, non ? Franchement il manque d'oreille, ce pauvre Petitrob : il nous supprimait clos qui sert trop à rien et on avait un bel alexandrin Appareil de chauffage où brûle un combustible, genre C'est un trou de verdure où chante une rivière.

Ou alors tant qu'à renoncer à l'alexandrin, il aurait pu mettre clos dans la Haye, là OK ça avait du sens.

2 vieux Chambre chauffée. Et là, attention les yeux : « Je demeurais tout le jour enfermé seul dans un poêle » Descartes. Et voilà le travail. Deux déménagements valent un incendie  et tous les poêles mènent à Descartes. CQFD.

 

Au fait, que faisait Descartes tout seul dans son poêle ? D'après des sources proches et concordantes, il commençait par se chauffer les neurones avec un petit problème algébrique avant de poursuivre sa correspondance avec différents savants penseurs & philosophes. Un peu comme moi si je faisais un sudoku avant de me remettre à ma grille de mots croisés. Mais le sudoku je trouve ça lassant, j'aime mieux les trucs à mots, il y a plus de surprises. Après quoi, histoire de se détendre un moment, il se livrait à quelques cogitations sur des sujets existentiels autant que pratiques.

 

C'est ainsi qu'un jour de l'hiver 1636-37 il se décida à réaménager son poêle de fond en comble. Il commença par déblayer sa table de travail encombrée de vieilles paperasses, de façon à y remettre à plat de manière aussi rigoureuse que possible l'ensemble de ses perceptions (essentiellement constituées par les subventions en espèces octroyées par ses mécènes). Ensuite il envisagea de classer avec méthode l'ensemble des objets de son environnement, ou, pour le dire en termes moins anachroniques, son ménage. Un mini-déménagement sur place, en quelque sorte, dans l'enceinte de son foyer. Il regroupa donc tous les objets perçus en petites piles, par catégories : les bougies de cire avec les bougies de son, les assiettes plates avec le livre d'heures creuses, le chapeau de feutre avec les plumes d'oie, les bottes de cuir avec les livres brochés etc. Vous me direz que ça ne ressemble pas vraiment à un rangement méthodique. Bien vu. En effet, ses petites piles se cassèrent la gueule.

C'est pourquoi les spécialistes nomment ces éléments de son œuvre « châteaux-Descartes ». Si je signale ce fait, ce n'est pas par goût de l'anecdote, mais parce qu'il est en rapport direct avec nos propres conceptualisations. En effet, les tas instables de Descartes dénotent chez cet éminent penseur le manque criant de cartons & étiquettes. Mais il ne fit pas immédiatement l'analyse du problème en ces termes, malgré sa relative pratique des déménagements. La chute de ses châteaux-Descartes l'abattit trop radicalement, lui fila un trop sale coup au moral, si bien que le doute s'empara de lui. Un doute carrément hyperbolique, assez proche, toutes choses égales par ailleurs dans les conditions normales de température et de pression, de la méthode paranoïaque critique.

 

Il était si déprimé qu'il pensa tout foutre au feu une bonne fois. « Âtre ou ne pas âtre ? », soliloquait-il dans son poêle, ce qui commençait à faire craindre aux sources proches et concordantes des atteintes pour sa santé mentale. Heureusement une servante qui passait par là l'entendit, entrouvrit la porte et demanda :

  • Monsieur n'a plus assez de feu ?

Or la servante était assez accorte. Descartes, qui pour être cartésien n'en était pas moins homme, ne la renvoya pas illico à ses chères études, mais saisit le premier prétexte qui lui vint à la pensée pour la retenir :

 

  • Euh, en fait, eh bien, ma chandelle est morte …

  • Ah mais ça c'est pour sûr, que Monsieur n'aye plus les idées si claires, toujours à cogiter tard, au bout d'un moment la chandelle elle se met à fumer, et les concepts à Monsieur itou.

  • Oui, voilà, répondit Descartes du tac au tac, avec, on s'en doute, une idée derrière la tête.

  • Je m'en vas vous chercher des provisions de chandelles afin qu'on aye de quoi voir plus clairement et consécutivement rayaisonner plus méthodiquement, poursuivit la servante dans son parler moliéresque, ce qui était normal vu l'époque.

  • Écoutez, Toinette, la démonstration que vous venez de produire ne manque pas de rigueur. Néanmoins, cherchez bien, il y a une solution alternative au renouvellement du stock de chandelles.

  • Une bougie de cire ?

  • Non. J'entends une solution qui nous ferait changer de paradigme, si vous voulez, un peu comme quand on passe de la physique newtonienne à la physique des quanta, vous me suivez, Toinette ?

  • Si Monsieur cherche à me vanter ici les mérites de la fission nuclayère pour résoudre les questions énergétiques, je préfère lui opposer immédiatement une fin de non recevoir par principe de prayecaution. Car j'avons lu il y a quelque temps dans les gazettes, aussi bien Le Mercure françois que L'Uranium hollandois (qui disposent de sources concordantes et bien informées) le récit d'un événement effroyable dans des contrées extrême-orientales …

  • Comment, Toinette, vous savez donc lire ?

  • Mais oui, j'avons appris toute seule en vidant vos brouillons de votre corbeille à papiers. Et c'était pas gagné parce que si je peux me permettre qu'est-ce que Monsieur écrit mal ! Mais ne détournez pas la conversation. Vous avez été lobbyé par qui pour cautionner le nuclayère hein ?

  • Mais enfin Toinette pour qui me prenez-vous, j'ai juste étudié avec soin l'équation de Monsieur Einstein …

  • Celle qui met en relation l'énergie, le carré de la vitesse de la lumière et le coefficient de masse ?

  • Celle-là même, Toinette. Et mon propos était seulement d'attirer votre attention sur l'application possible de l'équation à notre situation actuelle. Vous serez d'accord avec moi pour dire que nous présentons l'un et l'autre une certaine masse ?

  • Je trouve Monsieur un peu mayegrichon en ce moment, mais bon, comme je compense ...

  • Vous serez toujours d'accord pour dire que si j'allume ma chandelle, la lumière ainsi produite pourra …

  • Avoir quelque effet sur notre masse, la transformant en énergie, oui. A condition de placer la chandelle au bon endroit … ajouta Toinette avec un sourire coquin qu'elle tenait de sa formation moliéresque.

     

Descartes trouva la réponse adéquate, propre à accroître leur puissance d'exister dans l'addition de leurs affects positifs de même sens.

Il prit la main de Toinette, l'entraîna dans le poêle, referma la porte, et souffla la chandelle.

 

Cette nuit-là, exceptionnellement, Descartes ne fut donc pas seul dans son poêle. Et le lendemain, ayant retrouvé la jouissance de toutes ses facultés, il se remit à l'élaboration de son œuvre philosophique avec un certain enjouement. Et la réussite que l'on sait.

Réussite qui n'a d'égale que celle des lobbyistes du nucléaire auprès de décideurs que l'on aurait pu souhaiter moins mous du cogito. Je trouve que les premiers sièges sont communément saisis par les hommes les moins capables et que les grandeurs de fortune ne se trouvent guère mêlées à la compétence. (Essais I,26 De l'institution des enfants) Je sais pas dans quel poêle était Montaigne quand il a écrit ça, mais moi, dans le mien, c'est ce que je me dis souvent : la lucidité en matière de choix énergétiques, curieusement, n'est pas proportionnelle au carré de la vitesse de la lumière. Einstein y avait-il songé ?

 

Enfin ! Il faut rester zen, car, comme on dit à Fukushima : oui, on a parfois quelques petits soucis, mais vous savez, tout est relatif ...

 

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