Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • B(aruch) attitude (1) Direct nu ?

     

    Chose promise, chose due, je me sens obligée de reprendre la question posée naguère par l'Abbé Attitude, s'il vous en souvient, assidus lecteurs de ce blog. Sachant que d'après Spinoza la béatitude est la cause qui nous fait agir vertueusement, l'Abbé demande : Pour la béatitude on fait comment ?

    Je commence par résumer grossièrement le propos de l'Ethique. En sachant qu'il vaudrait mieux ne pas le faire, mais je ne sais vraiment pas comment faire autrement pour donner une petite idée de quoi on va parler.

     

    Résumé : L'être humain fait le bien en se faisant du bien, et vice versa (si l'on peut dire). Mais voir « clairement et complètement » ce qui fait du bien n'est pas facile, car certains affects tendent à opacifier notre perception de la réalité physique, psychique, sociale. Il s'agit donc de libérer la clairvoyance et la puissance de la raison. Elle ira nécessairement dans le sens de notre bonheur car elle est homogène à l'énergie de la vie sensible aussi dans nos corps et dans la nature. Laquelle vie, à la fois fonction et ensemble des valeurs qu'elle prend/a pris/prendra, sans aucun « trou », ni dans le temps ni dans l'espace (déterminisme absolu du système spinoziste) peut être nommée « Dieu ou la nature ».

     

    Oui je sais ce n'est pas très clair, pour le coup. Et c'est un comble car en fait je trouve que ce livre n'est pas si difficile à comprendre, malgré sa réputation d'illisibilité. Elle vient je pense du fait de sa forme mathématique qui en rebute plus d'un. Mais Spin dit bien qu'il suffit de revenir en arrière quand on n'a pas compris, car en math pas de surprise, il y a toujours le pont entre deux rives, il suffit de le retrouver. Disons que c'est un livre pour gens très rapides d'esprit, ou alors pas pressés. Et moi il se trouve que j'ai du temps. Temps que je mets dans ce blog à votre disposition, petits veinards, pour vous amener du côté de chez Spin.

     

    Donc livre simple, presque naïf dans son propos. Mais difficile à mettre en actes, là est le hic de l'Ethique.C'est pourquoi sans doute on se dit que c'est abscons, pour n'avoir pas à « l'essayer », comme dirait qui vous savez. C'est un peu comme la justice devant l'impôt ou la moralisation de la vie politique. Si évident qu'on dit : mais non, ce n'est pas si simple, c'est plus compliqué que ça, voyons !

     

    Je m'inclus dans ce « on », ça va de soi. Bonne raison pour ruminer ce livre, avec l'espoir d'en sortir, comme dit Lacan de l'analyse, « un peu moins con ». Et surtout un peu plus cool, un peu plus proche de la fameuse béatitude cause de tout ce bavardage.

     

    A propos de coolitude, on va y aller à petites doses. Car comme dit Bernard Pautrat dans la version que j'utilise (bilingue latin-français chez Points Seuil 2010 dernière révision). J'ai voulufavoriser la rencontre directe et nue entre cette mathématique et son lecteur, sans interposer le moindre commentaire philosophique qui la réinscrive de force dans une tradition à laquelle, en son essence, elle échappe singulièrement.

    Merci à lui de nous éviter la nausée devant un texte indigeste, bourré de notes et renvois. Et comme mes propres notions philosophiques sont suffisamment insuffisantes pour me dispenser de réinscrire avec pertinence l'Ethique où que ce soit, je suis également à fond pour le direct nu.

     

    A suivre.

     

  • Pas capital (4)

     

     

    En cette école du commerce des hommes, j'ai souvent remarqué ce vice, qu'au lieu de prendre connaissance d'autrui, nous ne travaillons qu'à la donne de nous, et sommes plus en peine de trouver emploi à notre marchandise que d'en acquérir de nouvelle. Essais I,23 : De l'institution des enfants

     

    Le commerce des hommes : Montaigne joue sur le double sens du terme. On a tendance à vivre le commerce des autres, la relation qu'on a avec eux, dans une perspective marchande. Il faut investir le terrain, se faire sa place, gagner des parts à ce marché des ego qu'est le commerce des hommes.

    Oui, c'est comme ça, me dira-t-on, (Freud par exemple) : l'autopromotion et la spéculation, on est tombé dedans quand on était petit. Question de survie du petit humain. Et puis qu'est-ce que j'ai contre l'auto-entreprise, pourquoi serait-ce mal de proposer sa marchandise sur la place ? J'ai rien contre. A condition que la marchandise soit un véritable produit, et si possible utile. Pourquoi faudrait-il n'avoir pour ambition, par exemple au hasard, que celle de tant de politiciens si formatés par leurs agences de communication qu'ils confondent image et action, discours et (recherche de) vérité ?

     

    Bourdieu a un mot très éclairant. Pour pouvoir apprendre, prendre connaissance de quelque chose, de quelqu'un, il faut, dit-il, être capable de se situer dans une attitude de docilité (latin docere, recevoir, mais aussi donner un enseignement). Etre docile face à autrui, ce n'est pas le placer en position de maître méprisé et détesté, et lui faire allégeance, se conformer à ses attentes supposées. (Comme le politicien avec l'électeur démagogisé, si on poursuit le parallèle). Il s'agit au contraire d'être capable de la souplesse intellectuelle et psychique qui fera prendre le risque de changer ses paradigmes s'ils sont improductifs. Peut-être préfèrera-t-on nommer cette attitude ouverture ou écoute. En tous cas elle n'est pas mollesse et résignation, mais ferment de puissance créatrice.

     

    Montaigne a essayé de se promouvoir, auprès des Grands, des rois. Sans trop de succès, dit-il. Un peu quand même, mais bon, il aurait voulu beaucoup plus, beaucoup mieux. Il aurait par exemple sans nul doute été volontiers l'Aristote d'un Alexandre. On en lit parfois l'aveu entre les lignes.

    Une fois on me demandait à quoi j'eusse pensé être bon, qui se fût avisé de se servir de moi pendant que j'en avais l'âge. « A rien », fis-je. Et m'excuse volontiers de ne savoir faire chose qui m'esclave à autrui. Mais j'eusse dit ses vérités à mon maître, et eusse contrôlé ses mœurs, s'il eût voulu (III, 13 De l'expérience)

     

    Ses essais sociaux n'ont pas vraiment été transformés. Mais il avait cette fameuse qualité de la docilité, qui lui a permis de prendre connaissance de toutes ses expériences. Dans le commerce des hommes, dans les livres, dans l'observation de soi. D'où les Essais. Transformation réussie. Montaigne n'a pas fait carrière à une quelconque Cour comme conseiller des Grands de son temps. Il est devenu Monsieur des Essais pour quiconque veut se donner le plaisir de le lire.

    Vous savez quoi ? On n'a pas perdu au change.

     

  • Horizon démocratique ?

     

    Je trouve que les premiers sièges sont communément saisis par les hommes les moins capables, et que les grandeurs de fortune ne se trouvent guère mêlées à la suffisance (à la capacité).

    Essais I,23 De l'institution des enfants.

     

    C'est clair. Bien vu. Bien envoyé. On pense d'emblée aux vulgaires vaniteux cyniques et âpres au gain qui nous gouvernent depuis quelques décennies, tous partis confondus. Mais non ce n'est pas du populisme, c'est de la lucidité.

    Quand Montaigne écrit cela, c'est au coeur du système C comme castes, aristocratie, monarchie de droit divin et autres errements encore très en forme à son époque. Il pouvait l'écrire, lui, avec un certain optimisme, en se disant qu'on finirait par mettre au point un meilleur système.

    L'ennui, c'est que nous qui en sommes au système D comme démocratie, nous pouvons entièrement souscrire encore à cette phrase. D comme décourageant. Tout ça pour ça. La gangrène démagogique qui prolifère dans le corps démocratique. Le cynisme de tant de « responsables » (sic) politiques qui, comme ceux cités plus haut, vivent tels de gros rats sur le fromage en prêchant l'abstinence à la masse des petits rongeurs plus faibles. La fatuité des prétendus savants ou soi disant penseurs qui édictent les cadres du conformisme à l'usage de « l'opinion publique ». Le sourire grimacier des fils de pub ou des ravis du divertissement qui décervèlent en se prenant la tête. Le conformisme béat du consommateur marqué au logo de Panurge. L'effrayante résignation des perdants à leur défaite.

    Le plus terrible, c'est que le le pouvoir n'est pas, à proprement parler, pris par les dominants, il leur est abandonné par le citoyen conditionné à s'identifier à eux. Cela ressemble, comment dire, oui c'est ça, à une servitude volontaire. C'est terrible, mais c'est logique. Le Marché disqualifie nécessairement deux ou trois broutilles du genre vérité, sens du bien commun, justice, dignité. Donc le pouvoir est nécessairement pris par les menteurs, les tricheurs, les rameneurs de couverture à soi, les piétineurs d'autrui plus faible que soi, les après moi le Déluge.

    Oui bon, ça sert trop à rien de dire ça, vaudrait mieux agir. Mais enfin ça fait quand même du bien de le dire. Agir comment ? That is the question.

    J'ai lu l'opuscule de Dany Cohn-Bendit intitulé Pour supprimer les partis politiques !? (la double ponctuation, du Dany tout craché …) et sous-titré Réflexions d'un apatride sans parti. (Editions Indigène fév.2013). Analyse parfaite, vision très claire des axes d'action à privilégier, ce qui est déjà important, certes. Mais la question du comment reste entière. Inefficience, voire nuisance du fonctionnement politique actuel confisqué par une caste de partidaires professionnels : oui, c'est vrai. Mais alors comment et avec qui créer le rapport de forces pour que le système démocratique se refasse une santé ? Sur quels ressorts agir dans les structures comme dans les individus ?