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  • B.attitude (7) Sive natura

     

    Résumé de l'épisode précédent.

    Tout baigne. Nos héros sont prêts au décollage. La check list est au point. Substance, attribut, chose finie (ou pas), éternité, tout est OK. (Ou pas, mais tant pis on va faire comme si).

     

    Par Dieu, j'entends un étant (ens) absolument infini, c'est à dire une substance consistant en une infinité d'attributs dont chacun exprime une essence éternelle et infinie. (Partie 1 définition 6)

     

    Ens : participe présent du verbe être. Pour comprendre l'enjeu de ce mot, substituons-lui une variante, la forme de l'infinitif. Dieu est un être absolument infini. Qu'est-ce que ça change ? L'infinitif porte surtout la charge sémantique, il fait valoir le sens avant tout, et permet d'opposer ce sens à sa négation. Il est lisible en binaire : être/ne pas être.

    Le participe présent considère le procès de l'action, autrement dit envisage le tracé, ou plutôt le traçage d'une figure représentant la fonction être. Figure qui se trace au fur et à mesure dans la succession des points correspondant à chaque valeur prise par la fonction.

    Avec son tracé absolument infini, la figure étant couvre une infinité de réalisé et réalisable, d'actuel et potentiel. Dieu désigne ainsi la fonction et sa figure intégrale. La fonction et son résultat, son application en chaque point précis de la figure. C'est dit autrement ailleurs : Dieu est nature naturante et nature naturée (scolie prop 29 partie 1).

     

    La définition de Spinoza consiste ainsi à apposer sur toute chose précise de l'espace/temps le logo garanti 100% Dieu. Comme on dirait d'un tissu.

    Chaque manière ou mode (pour en dire un mot)est la forme que prend le tissu selon un patron déterminé. Robe, veste, etc. selon une multitude de formes possibles, de modèles, mais c'est toujours le même tissu, la même « essence ».

     

    Ainsi tout le réel est garanti avoir pour consistance une unique substance.

    Tout ce qui est, est en Dieu, et rien ne se peut sans Dieu ni être ni se concevoir. (15)

     

    Dans le scolie qui suit, il précise.

    Cela, tous ceux qui auront su faire la distinction entre l'imagination et l'intellect le trouveront assez manifeste, surtout si l'on prête attention également à ceci, que la matière est partout la même, et qu'on n'y distingue de parties qu'à la condition de la concevoir, en tant que matière, affectée de diverses manières, si bien que ses parties ne se distinguent que par la manière, et non en réalité.

     

    Remarque 1

    La distinction entre l'imagination et l'intellect : son grand dada, on l'a déjà dit. Et c'est vrai qu'ici, c'est un peu comme pour la physique post Einstein : on est obligé de modifier nos paradigmes, de changer nos représentations. C'est pourquoi Spinoza prend l'option la plus simple, dérouler la stricte implication « géométrique » des mots étant et infini. De façon à invalider les préjugés ou projections qui peuvent distordre la réalité. La réalité, son mot chéri qui clôt ce scolie : l'ensemble des choses, là, comme ça « pour de vrai » et non dans la représentation imaginaire, inévitable mais toujours inadéquate.

    (Adéquat/inadéquat : mots clefs sur lesquels on reviendra).

     

    Remarque 2

    Cette impossibilité de distinguer les choses par leur substance (puisqu'elles sont toutes participantes de la seule qui existe) a pour conséquence un caractère essentiel du système de Spinoza : tout se joue dans la relativité des interactions et des positions des choses, dans leur rapport. Mais bon à voir plus tard. (N'empêche, c'est là où on voit combien c'est difficile d'aborder les choses par petits morceaux, tellement tout est lié).

     

    Deux propositions raccordent au déterminisme. Dieu obéit aussi à sa propre fonction. Il y a une programmation, un chiffrage qui lui sont consubstantiels. Un chiffrage qui est en fait la vie.

    A la nature de substance appartient d'exister. (7)

    Les choses n'ont pu être produites par Dieu d'aucune autre manière, ni dans aucun autre ordre, qu'elles ne sont produites. (33)

     

    Tout ceci se synthétise dans une célèbre formulation-clé de l'Ethique :

    Nous avons en effet montré, dans l'Appendice de la Première Partie, que la Nature n'agit pas en vue d'une fin ; carcet Etant éternel et infini que nous appelons Dieu, autrement dit la Nature, agit avec la même nécessité par laquelle il existe. (…) et c'est pour cette raison que j'ai dit plus haut que quant à moi, par réalité et par perfection, j'entends la même chose. (Préface Part 4)

     

    Sur le logo apposable sur toutes choses, garanti 100% Dieu, il convient donc de rajouter qualité parfaite. (On reviendra sur le mot perfection, piège à … fantasmes).

     

    Pour finir je vous livre le doublequoique qui me saisit tout à coup. En latin pas de déterminant per deum intelligo ens infinitum. Mais en français, qu'est-ce qui est plus adéquat, l'étant ou un étant ? Curieusement (les mots sont joueurs) je me demande si l'article défini ne rend pas mieux compte du triple caractère du tissu/substance : unicité indéfinité (ça se dit?) immanence ...

    Sans grande importance à vrai dire, mais bon on a bien mérité une récré.

     

    A suivre.

  • B.attitude (6) Elle est retrouvée

     

    Résumé de la situation

    Malgré les efforts de clarté de notre héros, sa lectrice, moins héroïque et moins claire, a abandonné non sans désinvolture ses propres lecteurs en tête à tête option prise de tête avec quatre définitions et une réflexion. Combien d'insomnies ont été ainsi provoquées ? Combien de boulimies affectives ? Mais haut les cœurs ! Dans ce nouvel épisode, la lectrice n'aura même plus peur. Et la voici aux prises avec les épineux concepts, direct et à mains nues.

    (Après tout ils sont moins effrayants qu'un chien, par exemple. D'ailleurs à sa connaissance la phobie des concepts ça n'existe pas).

     

    Prenons d'abord substance, le machin qui n'a pas besoin du concept d'autre chose. Il est logique de le regarder en premier parce que c'est le concept auto-suffisant du lot, celui qui tient tout seul.

    C'est donc à partir de ce concept, boucle d'arrimage, nouage du fil, que l'on pourra envisager de se lancer dans le tissage d'un vêtement solide et si possible seyant. (Ceci est une métaphore filée ou je ne m'y connais pas. Mais c'est la faute à l'abbé Attitude qui m'a dit : faudrait imager un peu. Alors j'image).

     

    Pour Spin Dieu est donc cela, une substance. Un concept qui tient tout seul. Sans qu'il faille l'étayer de tenants et aboutissants. Ce qui évacue la question métaphysique, avec une certaine élégance il faut bien le dire. Avec un Dieu substance, la métaphysique n'a littéralement plus lieu d'être. Ou, pour le dire autrement, il n'y a rien que de l'immanence.

    Dieu est de toutes choses cause immanente et non transitive (causa immanens non vero transiens). (Prop.18)

     

     

    Mais il y a un souci avec la substance. On peut en avoir une interprétation « océanique », en faire un concept qui noie le poisson. Une interprétation crépusculaire où tous les chats sont gris. Et alors franchement substance ou pas substance, et du coup rien ou quelque chose c'est kif kif. Or l'expérience prouve que non, être ou pas être c'est pas kif kif, comme l'a bien vu Hamlet.

    D'où les concepts de défloutage que sont l'attribut et la manière (ou mode). Ils permettent de voir comment les choses s'expliquent, se déplient. La forme du poisson et la couleur du chat. (Cela dit, la manière on laisse tomber, le mot n'étant pas dans la déf 6. Faut être efficace, sinon on n'est pas rendu).

     

    L'attribut = ce que l'intellect perçoit d'une substance comme constituant son essence. Ah tiens (se dit l'intellect) lui c'est un attribut trucmuchien, car je vois et je reconnais, je perçois le logo 100% trucmuchie. C'est donc la garantie que j'ai affaire à l'essence trucmuchienne où je m'y connais pas.

    Autrement dit, l'attribut permet une bonne traçabilité de la substance.

     

    Quant à la chose finie, une chose qui peut être bornée par une autre de même nature = on roule pépère dans sa petite auto, à un moment on passe une borne où est écrit par exemple Tarn. Alors on sait que le département Aude est « fini », puisque là est sa limite commune avec le département Tarn.

    En parallèle, après la pensée « tiens l'Aude finit ici, maintenant on est dans le Tarn », viendra mettons «Tarn chef-lieu Albi » qui amènera immanquablement « Qu'est-ce que j'ai aimé le musée Toulouse-Lautrec » , phrase qu'il est impossible de trouver écrite sur la borne à la place de Tarn, même si vous la pensez très fort. De la même façon inversement si vous n'avez rien pensé du tout ou si vous dormiez, la borne était là quand même. Un corps n'est pas borné par une pensée ni une pensée par un corps.

     

    La définition de l'éternité ne se comprend que si on prend garde à ne pas se laisser bêtement enfermer dans le fameux piège finaliste. C'est pourquoi, toujours aussi prévenant, Spin précise dans l'explication qui suit : elle ne peut s'expliquer par la durée et le temps, quand même on concevrait la durée sans commencement ni fin.

    L'éternité n'est donc pas un temps sans bornes, elle est dans le caractère non-bornable du temps. Insignifiance encore du concept de transcendance.

    Il n'y a que l'immanence, et l'éternité est l'existence-même (ipsa) : oui, tout simplement en tant que considérée dans son caractère non-bornable, suivant nécessairement de la seule définition d'une chose éternelle.

     

    C'est pourquoi s'il n'est pas facile de comprendre le concept, nous en faisons pourtant facilement l'expérience dans la vie la vraie la seule. Comme dit Rimbaud, l'éternité est ce qui, dans ce qui se trouve là, est retrouvé. Cette évidence de faire corps avec ce qui est là. J'ai embrassé l'aube d'été.

    Elle est retrouvée ! - Quoi? - L'éternité ! C'est la mer allée avec le soleil.

    Et là, y a d'la joie.

     

    Bon, on a maintenant toutes les cartes en main pour revenir à the définition.

    La prochaine fois. Faudrait pas risquer la nausée conceptuelle.

     

    A suivre.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • B.attitude (5) La part de Dieu, les paramètres

     

     

    Résumé des épisodes précédents.

    Notre héros, mû par son conatus singulièrement altruiste, a décidé de tendre la main à ses congénères pour leur fournir le mode d'emploi du bonheur de vivre. Il s'inscrit ainsi dans une démarche radicalement humaniste.

     

    Humanisme, humanisme, je veux bien, dira-t-on, mais il y a du Dieu dans l'Ethique, oui ou non ? Il y a du Dieu et d'une certaine manière il n'y a que ça, d'où tout découle d'une infinité de manières. Où quand comment pourquoi ? Et comment ça s'articule avec la descente en flammes de la religion ? C'est ce qu'on va comprendre dans les prochains épisodes.

     

    Non, je blague. Pas sûr qu'on comprenne, mais bon, on va essayer de lire.

    L'Ethique commence donc du côté de chez Dieu. D'une manière qui n'est pas sans évoquer la boutade la guerre est une chose trop sérieuse pour la laisser aux militaires. Pour Spinoza, le concept de Dieu est trop déterminant pour le laisser aux fantasmes religieux. Il doit au contraire être abordé réellement. En le dégageant des projections anthropomorphiques, dont la plus ravageante à la fois pour l'intellect et pour le conatus est la notion de volonté de Dieu. Notion absurde pour lui, que dans une page de l'Appendice de la partie 1 (encore ? Eh oui), une page superbe de verve et de lumineuse intelligence, il appelle l'asile de l'ignorance.

     

    Mais venons en au fait.

    Par Dieu, j'entends un étant absolument infini, c'est à dire une substance consistant en une infinité d'attributs dont chacun exprime une essence éternelle et infinie. (Partie 1 définition 6)

     

    Cette définition est la 6, et par conséquent, comme dirait M. de la Palice, il en faut 5 autres avant d'y arriver. Je vois cela comme un paramétrage. Il pose les paramètres utiles et après la notion se définit, se repère, en fonction de ces paramètres. Dieu est avant tout un objet géométrique comme les autres.

    Les paramètres nominated pour la définition de Dieu sont : cause de soi (1), chose finie (2), substance (3), attribut (4), manière (5).

     

    Mais soulignons d'abord j'entends (intelligo), répété, outre cette définition 6, dans les 1,3,4,5.Spinozase méfie des incertitudes du langage, en particulier des termes ditsTranscendantaux, comme Etant, Chose. Pour lui ces termes signifient des idées confuses au plus haut degré. Il explique qu'on perd ainsi beaucoup de temps et d'énergie à des controverses oiseuses, que ce soit en religion ou en philosophie (scolie 1 prop 40 partie 2). Alors ici son j'entends sert à sortir de la confusion, à décider une bonne fois pour toutes (au moins pour la suite du livre) d'un sens précis pour la notion.

     

    Ainsi briefés, revenons donc aux paramètres. Nous ne retiendrons que ceux qui apparaissent dans la déf 6. (déjà bien beau, hein?)

     

    2 Est dite finie (finita) en son genre, la chose qui peut être bornée (terminari potest) par une autre de même nature. Par ex un corps est dit fini parce que nous en concevons toujours un autre plus grand. De même une pensée (cogitatio) est bornée par une autre pensée. Mais un corps n'est pas borné par une pensée ni une pensée par un corps.

     

    3 Par substance, j'entends ce qui est en soi et se conçoit par soi : c'est à dire, dont le concept n'a pas besoin du concept d'autre chose d'où il faille le former.

     

    4 Par attribut, j'entends ce que l'intellect perçoit d'une substance comme constituant son essence.

     

    Et à cause du mot éternelle dans la déf, on est obligé de rajouter

     

    8 Par éternité j'entends l'existence même en tant qu'on la conçoit suivre nécessairement de la seule définition d'une chose éternelle.

     

    C'est cela. Voilà voilà. Je me demande où on en serait si on n'avait pas viré les idées confuses au plus haut degré ...?

    Vous savez quoi ? Substance, attribut, tout ça j'ai envie de courageusement faire l'impasse. Courageusement, j'ai bien dit. L'homme libre montre la même vaillance (animositas) ou présence d'esprit à choisir la fuite qu'à choisir le combat (Partie 4 corollaire prop.79). Retenez-la, celle-là, elle peut servir.

    En l'occurrence, j'assume de le dire tout net, ce genre de mots ça me bloque. Naguère encore je me serais fait violence pour toutes sortes de mauvaises raisons du genre c'est pas fair play envers tes lecteurs, ou encore je vais passer pour une ignorante. Résultat je serais bêtement allée recopier des infos dans quelque bouquin. Et par la même occasion je serais allée à l'encontre de mon conatus, diminuant ainsi ma joie donc ma puissance d'exister. Trop con, non ? Heureusement, maintenant que je suis tombée au milieu de Spinoza, je me sens parfois un peu plus légère, presque autant que Montaigne qui n'a jamais voulu se ronger les ongles à l'étude d'Aristote.

     

    C'est pourquoi je vais me contenter de la main tendue par les c'est à dire ou autrement dit pour reformuler à mon tour. La prochaine fois. Parce que tous ces concepts un peu étouffe-chrétien, faut le temps de les digérer, non ?

    Bref, bon appétit.

     

    A suivre