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  • B.attitude (4) Comme par la main

     

    Résumé de l'épisode précédent :

    Notre héros a récusé un schéma vertical descendant dans lequel Dieu, maître du Vrai et du Bien, les dispenserait aux humains trop humains du haut de sa transcendance. Au contraire il pose que conceptualiser Dieu (objet de la partie 1 de son Ethique) n'est pas une fin en soi. Quant à tous les concepts tant qu'ils sont, le Vrai, le Bien, ou quoi que ce soit, bof, paroles, paroles … Mon dessein n'est pas d'expliquer le sens des mots mais la nature des choses (Part 3 déf 20 explic déjà citée).

    Membre fondateur du Mouvement de Libération Mathématique, il nous propose à présent d'y adhérer à notre tour. Gracieusement.

     

    J'en viens maintenant à expliquer les choses qui durent nécessairement découler de l'essence de Dieu, autrement dit de l'Etant éternel et infini. Pas toutes, évidemment, car il en dut découler une infinité d'une infinité de manières, nous l'avons démontré à la proposition 16 partie 1, mais seulement celles qui peuvent nous conduire comme par la main à la connaissance de l'Esprit humain et de sa suprême béatitude.

    Introduction à la partie 2 (De la nature et l'origine de l'esprit)

     

    Les choses qui durent nécessairement découler ; il en dut découler une infinité d'une infinité de manières : vision déterministe. Un système dans lequel tout est lié, sans endroit de rupture, sans solution de continuité. Comment concilier ce déterminisme avec la liberté revendiquée ? C'est là où l'Ethique a un petit côté résolution de la quadrature du cercle, ce n'est pas son moindre charme. (Je reviendrai sur ce binôme déterminisme/liberté, du moins c'est prévu).

     

    Les choses qui découlent de Dieu, pas toutes, seulement celles (pour) la connaissance de l'Esprit humain et de sa suprême béatitude.

    L'existentialisme est un humanisme, dira Sartre. Spinoza dit ici : mon Ethique est un humanisme. Un humanisme qui renverse l'ordre du religieux, ce qu'il appelle le préjugé superstitieux. Dieu n'est pas considéré comme l'avenir de l'homme, sa vocation. Il est plutôt convoqué à son usage, dans une joyeuse légèreté, avec ce joli « pas toutes, mais seulement ».

     

    Les religieux auxquels Spinoza a eu affaire dans la vraie vie ne s'y sont pas trompés et ont bien vu qu'il sciait ainsi la branche sur laquelle ils étaient assis, et d'où ils exerçaient leur pouvoir. Et curieusement, cela ne les a pas fait rire. Ils ont pas le conatus à l'humour. Nobody's perfect. Mais ma foi lui il a assumé : son exclusion de la synagogue, avec le heremmajeur prononcé par le rabbinat d'Amsterdam. L'impossibilité de voyager pour rencontrer ses amis savants et philosophes. Il aurait fallu pour cela quitter la tolérante terre de Hollande et essuyer les chicanes de l'Inquisition, et plus si affinités. C'est bon, il savait de famille à quoi s'en tenir sur la question.

    L'exil de sa communauté et une quasi assignation à résidence pour le droit de penser. Son œuvre pèse ce poids-là. L'Ethique c'est pas du toc.

    (Voilà, ça, c'est fait. C'était trop tentant).

     

    La conséquence de cette implication existentielle est que l'Ethique n'est pas un discours. Surtout pas métaphysique, pas même un discours philosophique à proprement parler. C'est bien, comme il l'écrit, une démonstration, à tous les sens du terme, et pas seulement mathématique. Un mode d'emploi, comme pour un aspirateur. Le mode d'emploi du bonheur de vivre. Et aussi un manifeste. Une exposition.

     

    Implication existentielle qui transparaît dans la métaphore comme par la main venant incarner un instant, comme par surprise, la douceur d'un affect, celui de generositas mentionné plus haut (voir B.2). Un être humain, ein schönes Mensch, invite ses semblables à l'accompagner dans une randonnée pour laquelle il se propose comme guide bienveillant. Ou encore, autre image, celle d'un père ou d'une mère qui soutient les premiers pas d'un enfant.

    Dans l'un et l'autre cas, la randonnée, c'est la vie.

     

    A suivre

  • Géométrie variable

    Quelques mots en écho aux derniers commentaires d'Hélène.

    Je n'ai pas l'intention (ni la capacité surtout) de faire une lecture linéaire de l'ensemble. De toutes façons le support blog ne serait pas adapté.

    En fait je fais une note en me disant : il faut parler de tel point, c'est important. Et puis ça m'amène à autre chose, etc. Tout ça sans grand ordre, avec des redites. C'est juste que quand quelque chose me plaît, j'ai envie d'en parler, d'y faire écho. Comme quand on a vu un bon film au cinéma. Je sais que je dis sûrement beaucoup de bêtises, ou en tous cas d'approximations. C'est le lot des gens qui, comme dit Montaigne, ont "le cul entre deux selles". Ni inculte, ni spécialiste. Mais amatrice ça oui. J'essaie donc d'expliquer le mieux possible ce que je comprends, en sachant que ça ne garantit pas la validité de ce que je comprends pour d'autres que pour moi.

    Le mode géométrique (pour ce que j'en comprends, donc) ne tient pas tant au contenu d'un savoir *qu'à une attitude de fond devant le monde : le monde physique, et aussi celui des idées, des sentiments, des relations etc. Attitude d'objectivité au sens fort, essayer de voir vraiment ce qui est là, comme c'est, sans préjugé ni attente particulière, et de comprendre comment les choses se relient l'une à l'autre.

    *Cependant un savoir scientifique ne peut pas nuire, non tant pour lui-même, que parce qu'il a formé à une certaine façon de penser.

    Je crois aussi que quand Spinoza décide de rédiger son livre sous cette forme, il avait vraiment dans l'idée que ce serait plus clair et plus simple. Qu'il pourrait tout mettre de sa pensée en la réduisant "à sa plus simple expression" : une condensation, ou une cristallisation.

    Mais le mieux est de citer quelques phrases de Deleuze. (Gilles Deleuze, Spinoza philosophie pratique, éd de Minuit 1981)

    "Des écrivains, des poètes, des musiciens, des cinéastes, des peintres aussi, même des lecteurs occasionnels" (merci pour eux, M'sieur Deleuze), "peuvent se retrouver spinozistes, plus que des philosophes de profession. Non pas qu'on soit spinoziste sans le savoir. Mais, bien plutôt, il y a un curieux privilège de Spinoza, quelque chose qui semble n'avoir été réussi que par lui.C'est un philosophe qui dispose d'un appareil conceptuel extraordinaire, extrêmement poussé, systématique et savant ; pourtant il est au plus haut point l'objet d'une rencontre immédiate et sans préparation, tel qu'un non-philosophe, ou bien quelqu'un dénué de toute culture" (là il pousse un peu à mon avis, faut quand même savoir lire) "peuvent en recevoir une soudaine illumination, un 'éclair' (allusion à R.Rolland qui parle de l'éclair de Spinoza). C'est comme si l'on se découvrait spinoziste, on arrive au milieu de Spinoza, on est aspiré, entraîné, dans le système ou la composition. Quand Nietzsche écrit : 'je suis étonné, ravi ... je ne connaissais presque pas Spinoza ; si je viens d'éprouver le besoin de lui, c'est l'effet d'un acte instinctif', il ne parle pas seulement en tant que philosophe, surtout pas peut être en tant que philosophe. (...)

    (...) double lecture de Spinoza, d'une part à la recherche de l'idée d'ensemble et de l'unité des parties, mais d'autre part, en même temps, la lecture affective, sans idée de l'ensemble, où l'on est entraîné ou déposé, mis en mouvement ou en repos, agité ou calmé selon la vitesse de telle ou telle partie."

    En fait, oui. Voilà.

  • B.attitude (3) Adhérer au M.L.M.

     

     

    Voici comment Spinoza présente le plan de son livre.

     

    Ethique démontrée selon l'ordre géométrique et divisée en cinq parties dans lesquelles il s'agit

    1 de Dieu

    2 de la nature et l'origine de l'Esprit

    3 de l'origine et la nature des Affects

    4 de la Servitude humaine, autrement dit des Forces des Affects

    5 de la Puissance de l'Intellect, autrement dit de la Liberté humaine.

     

    Plan organisé sur deux couples de forces antagonistes, affects/intellect et servitude/liberté. La B. attitude se construit comme la résultante de ces forces en tension. La vie dans le bien être a pour condition la liberté. Mais, semblable au caminar caminando de Machado,la liberté est le mouvement de se libérer.

     

    Précision sémantique pour intellect. Spinoza utilise le mot latin intellectus, substantif formé sur le verbe intellegere. Intellegere = inter legere = prélever des éléments dans un ensemble. Il s'agit d'une faculté de discernement. Se repérer dans le foisonnement contradictoire du réel, trouver des paramètres de classement pour les perceptions, pensées, sentiments.

     

    Le bon outil pour l'intellect est l'ordre géométrique. Pourquoi ? Parce qu'il met de côté les affects. Et donc les désirs qu'ils provoquent. Ainsi choisir l'ordre géométrique c'est observer la réalité sans aucun préjugé, au lieu de prendre ses désirs pour la réalité. Ordre géométrique : garde-fou anti fantasmes.

     

    L'explication est donnée dans l'Appendice de la 1° partie.

    Spinoza y déroule le lien logique entre le préjugé finaliste de l'homme et sa projection anthropomorphique dans des figures transcendantes.

     

    Tous les préjugés que j'entreprends de dénoncer ici dépendent de cela seul que les hommes supposent communément que toutes les choses naturelles agissent comme eux en vue d'une fin, et vont même jusqu'à tenir pour certain que Dieu lui-même règle tout en vue d'une certaine fin précise (ils disent en effet que Dieu a tout fait en vue de l'homme, et a fait l'homme pour qu'il l'honore) …

    L'ennui, et les hommes l'ont vite vu, c'est qu'il y a comme un loup : nombre d'incommodités, telles que tempêtes, tremblements de terre, maladies etc., c'est à dire une malfaisance naturelle pour laquelle les dieux, dans une logique finaliste, n'ont pas d'alibi.

    D'où l'idée des dieux style pères fouettards, option sévères-mais-justes : le mal est la punition pour les péchés commis contre leur culte. En somme, le mal, c'est leur droit, parce qu'ils le valent bien.

     

    L'ennui, et les hommes ont fini par le voir, c'est que mal et malheur frappent sans discrimination, commodités et incommodités arrivent indistinctement aux pieux et aux impies. Et la justice alors ? Damned que faire ?

    Facile, les hommes trouvent le truc pour sauvegarder leur préjugé finaliste : la transcendance. D'où vint qu'ils tinrent pour certain que les jugements des Dieux échappent de très loin à la prise des hommes.

    Et là on était mal barré : et cela seul eût suffi à faire que la vérité demeurât pour l'éternité cachée au genre humain ...

    Mais heureusement

    s'il n'y avait eu la Mathématique, laquelle s'occupe non des fins mais seulement des essences et propriétés des figures, pour présenter aux hommes une autre norme de la vérité.

     

    Ouf. On revient de loin. On dit merci qui ?

    Merci Mathématique. La Mathématique que Spinoza présente ici comme une bonne fée. Malgré la majuscule, elle n'est pas La Substantifique Vérité, mais le moyen pratique d'un déplacement de point de vue sur la vérité. Elle permet la sortie d'un ordre absolu, totalitaire parce que finaliste. La question de la vérité devient en pratique celle de la vérification. Le pourquoi est délaissé au profit du comment. Là on tient le « bon bout de la raison », comme dirait Rouletabille.

     

    Et outre la Mathématique on peut encore assigner d'autres causes (qu'il est superflu d'énumérer ici)** qui ont pu faire que les hommes ouvrissent les yeux. Que la lucidité soit. L'adjectif que Spinoza accole régulièrement au mot connaissance est claire. Réflexe de fabricant de lentilles et de théoricien de l'optique.

    Si quelqu'un est un homme des Lumières, c'est bien lui.

     

    ** Exemple-type d'humour spinoziste.

     

    A suivre