Résumé de l'épisode précédent :
Notre héros a récusé un schéma vertical descendant dans lequel Dieu, maître du Vrai et du Bien, les dispenserait aux humains trop humains du haut de sa transcendance. Au contraire il pose que conceptualiser Dieu (objet de la partie 1 de son Ethique) n'est pas une fin en soi. Quant à tous les concepts tant qu'ils sont, le Vrai, le Bien, ou quoi que ce soit, bof, paroles, paroles … Mon dessein n'est pas d'expliquer le sens des mots mais la nature des choses (Part 3 déf 20 explic déjà citée).
Membre fondateur du Mouvement de Libération Mathématique, il nous propose à présent d'y adhérer à notre tour. Gracieusement.
J'en viens maintenant à expliquer les choses qui durent nécessairement découler de l'essence de Dieu, autrement dit de l'Etant éternel et infini. Pas toutes, évidemment, car il en dut découler une infinité d'une infinité de manières, nous l'avons démontré à la proposition 16 partie 1, mais seulement celles qui peuvent nous conduire comme par la main à la connaissance de l'Esprit humain et de sa suprême béatitude.
Introduction à la partie 2 (De la nature et l'origine de l'esprit)
Les choses qui durent nécessairement découler ; il en dut découler une infinité d'une infinité de manières : vision déterministe. Un système dans lequel tout est lié, sans endroit de rupture, sans solution de continuité. Comment concilier ce déterminisme avec la liberté revendiquée ? C'est là où l'Ethique a un petit côté résolution de la quadrature du cercle, ce n'est pas son moindre charme. (Je reviendrai sur ce binôme déterminisme/liberté, du moins c'est prévu).
Les choses qui découlent de Dieu, pas toutes, seulement celles (pour) la connaissance de l'Esprit humain et de sa suprême béatitude.
L'existentialisme est un humanisme, dira Sartre. Spinoza dit ici : mon Ethique est un humanisme. Un humanisme qui renverse l'ordre du religieux, ce qu'il appelle le préjugé superstitieux. Dieu n'est pas considéré comme l'avenir de l'homme, sa vocation. Il est plutôt convoqué à son usage, dans une joyeuse légèreté, avec ce joli « pas toutes, mais seulement ».
Les religieux auxquels Spinoza a eu affaire dans la vraie vie ne s'y sont pas trompés et ont bien vu qu'il sciait ainsi la branche sur laquelle ils étaient assis, et d'où ils exerçaient leur pouvoir. Et curieusement, cela ne les a pas fait rire. Ils ont pas le conatus à l'humour. Nobody's perfect. Mais ma foi lui il a assumé : son exclusion de la synagogue, avec le heremmajeur prononcé par le rabbinat d'Amsterdam. L'impossibilité de voyager pour rencontrer ses amis savants et philosophes. Il aurait fallu pour cela quitter la tolérante terre de Hollande et essuyer les chicanes de l'Inquisition, et plus si affinités. C'est bon, il savait de famille à quoi s'en tenir sur la question.
L'exil de sa communauté et une quasi assignation à résidence pour le droit de penser. Son œuvre pèse ce poids-là. L'Ethique c'est pas du toc.
(Voilà, ça, c'est fait. C'était trop tentant).
La conséquence de cette implication existentielle est que l'Ethique n'est pas un discours. Surtout pas métaphysique, pas même un discours philosophique à proprement parler. C'est bien, comme il l'écrit, une démonstration, à tous les sens du terme, et pas seulement mathématique. Un mode d'emploi, comme pour un aspirateur. Le mode d'emploi du bonheur de vivre. Et aussi un manifeste. Une exposition.
Implication existentielle qui transparaît dans la métaphore comme par la main venant incarner un instant, comme par surprise, la douceur d'un affect, celui de generositas mentionné plus haut (voir B.2). Un être humain, ein schönes Mensch, invite ses semblables à l'accompagner dans une randonnée pour laquelle il se propose comme guide bienveillant. Ou encore, autre image, celle d'un père ou d'une mère qui soutient les premiers pas d'un enfant.
Dans l'un et l'autre cas, la randonnée, c'est la vie.
A suivre