Résumé. Nos héros ont découvert que les philosophes n'ont pas toujours bon genre. Et pas plus le pékin moyen. Où trouver alors les ressources pour rester compétitifs dans la course à la béatitude ? Une réforme structurelle de l'entendement est-elle vraiment nécessaire ? Faut-il absolument faire rimer bonheur avec rigueur ? Et béatitude avec précisitude ?
Reprenons notre scolie prop 40 partie 2.
(Nous formons des notions universelles) de ce que nous avons des notions communes, et des idées adéquates des propriétés des choses (voir le coroll prop38, la prop39 avec son coroll et la prop40 de cette partie) ; et cette manière je l'appellerai raison et connaissance du deuxième genre.
Recopiant cette citation, je garde pour une fois la parenthèse, la référence obsessionnelle au classement des propositions. Cette obsession est-elle sadisme de matheux, démonstration de maîtrise ? Voyons-y le guidage comme par la main de l'ami Spin.
Bref dans les propositions rappelées, l'une me paraît déterminante : l'esprit est d'autant plus apte à percevoir adéquatement plus de choses que son corps a plus de choses en commun avec les autres corps. (Coroll prop39)
L'adéquation consiste à ouvrir les canaux de la perception, à frayer les voies de communication entre la conscience et le monde des choses comme des hommes. L'adéquation est d'abord acte de présence au présent et au réel.
Mais le risque est alors d'être débordé par l'afflux des affects venus de l'autre, de l'extérieur : l'esprit n'a ni de lui-même ni de son propre corps ni des corps extérieurs la connaissance adéquate (…) chaque fois qu'il est déterminé du dehors, j'entends par la rencontre fortuite des choses (sc prop 29 part 2).
Pour gérer le flux, il faut (et il suffit de ?) se brancher sur la détermination du dedans, autrement dit le mécanisme proprement rationnel apte à saisir le rapport entre toutes ces choses qui arrivent à la fois, : comprendre leurs convenances, différences et oppugnances. (id)
Cette détermination du dedans est la raison humaine, notre programmation à raisonner. Si elle permet l'adéquation, c'est qu'elle est une « manière » de la programmation qui détermine l'ensemble du système, une actualisation de l'essence rationnelle de deussivenatura soi-même. Substance, individu : même combat, même raison. La connaissance adéquate consiste dans l'application de la détermination interne de la raison (le point de vue humain) à la détermination externe (le point du vue de la nature, de l'ensemble du système).
« Application » est le mot le plus adéquat que je trouve. Au double sens d'effort et de correspondance, c'est lui l'acte éthique d'adéquation (belle allitération). Dans le plan physique s'appliquer à recueillir la présence des choses, par l'attention au réel et l'ouverture des sens hors préjugé. Dans le plan mental, s'adonner avec soin à dérouler le fil logique, à mettre les données éparses en ordre de compréhension.
Cette correspondance, là est l'intérêt de la connaissance adéquate, articule la connaissance et la liberté, subvertissant de l'intérieur la loi déterministe, la retournant à l'avantage de l'humanité.
Il est de la nature de la raison de contempler les choses non comme contingentes, mais comme nécessaires. (Prop44 Part2).
Idée développée avec un admirable lyrisme à la fin de la Partie 4 (chap32)
La puissance de l'homme est extrêmement limitée, et infiniment surpassée par la puissance des causes extérieures ; et par suite nous n'avons pas le pouvoir absolu d'adapter à notre usage les choses qui sont hors de nous (…) nous sommes une partie de la nature tout entière, dont nous suivons l'ordre.
Si nous comprenons cela clairement et distinctement, cette part de nous qui se définit par l'intelligence, c'est à dire la meilleure part de nous, y trouvera pleine satisfaction, et s'efforcera de persévérer dans cette satisfaction. Car en tant que nous comprenons, nous ne pouvons aspirer à rien qui ne soit nécessaire, ni, absolument parlant, trouver de satisfaction ailleurs que dans le vrai ; et par suite, en tant que nous comprenons correctement ces choses-là, en cela l'effort (conatus) de la meilleure part de nous-mêmes convient avec l'ordre de la nature entière.
La puissance de la raison chez Spinoza ressemble ainsi à une technique d'arts martiaux : l'homme qui comprend utilise à son profit l'énergie brute du système. Telle est la connaissance du deuxième genre.
Et puis il y a un bonus, la connaissance du troisième genre. Une espèce de raccourci. Spinoza la nomme science intuitive, qui permet de voir les rapports d'un seul coup d'oeil. Faut le bon point de vue. Pour cela prolonger la prop 44 ci-dessus par son corollaire : Il est de la nature de la raison de percevoir les choses sous un certain aspect d'éternité (sub quadam aeternitatis specie). Rappelons aux étourdis que l'éternité est l'existence-même, c'est à dire la fonction exister hors ses valeurs prises dans la durée (Part 1 déf 8 cf B.6)
La connaissance du troisième genre consisterait donc en un branchement direct sur la fonction qui code deusivenatura, disons « l'algorithme-vie ». Et donc parfaitement accessible en tout point du système, à propos de chacun de ses constituants du seul fait qu'ils existent, sans long parcours d'un fil de raisonnement.
Oui mais concrètement, comment faire pour la rencontre du troisième type ? Aucune idée. Bon, pour dire le fond de ma pensée je subodore qu'il n'y a rien à faire. J'entends faire : rien, vraiment. Ce qui est difficile à pas mal de gens, et à moi particulièrement. Donc pour l'heure contentons-nous d'admettre que l'adéquation est possible dans le deuxième genre, dans la mesure où nous sommes des choses de raison.
Du moins c'est l'hypothèse de Spinoza. A regarder le monde (et moi particulièrement) j'ai une vieille tendance à lui laisser la responsabilité de son optimisme.
A suivre