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  • B.attitude (12) Rencontre du troisième type

     

    Résumé. Nos héros ont découvert que les philosophes n'ont pas toujours bon genre. Et pas plus le pékin moyen. Où trouver alors les ressources pour rester compétitifs dans la course à la béatitude ? Une réforme structurelle de l'entendement est-elle vraiment nécessaire ? Faut-il absolument faire rimer bonheur avec rigueur ? Et béatitude avec précisitude ?

     

    Reprenons notre scolie prop 40 partie 2.

    (Nous formons des notions universelles) de ce que nous avons des notions communes, et des idées adéquates des propriétés des choses (voir le coroll prop38, la prop39 avec son coroll et la prop40 de cette partie) ; et cette manière je l'appellerai raison et connaissance du deuxième genre.

    Recopiant cette citation, je garde pour une fois la parenthèse, la référence obsessionnelle au classement des propositions. Cette obsession est-elle sadisme de matheux, démonstration de maîtrise ? Voyons-y le guidage comme par la main de l'ami Spin.

    Bref dans les propositions rappelées, l'une me paraît déterminante : l'esprit est d'autant plus apte à percevoir adéquatement plus de choses que son corps a plus de choses en commun avec les autres corps. (Coroll prop39)

    L'adéquation consiste à ouvrir les canaux de la perception, à frayer les voies de communication entre la conscience et le monde des choses comme des hommes. L'adéquation est d'abord acte de présence au présent et au réel.

     

    Mais le risque est alors d'être débordé par l'afflux des affects venus de l'autre, de l'extérieur : l'esprit n'a ni de lui-même ni de son propre corps ni des corps extérieurs la connaissance adéquate (…) chaque fois qu'il est déterminé du dehors, j'entends par la rencontre fortuite des choses (sc prop 29 part 2).

    Pour gérer le flux, il faut (et il suffit de ?) se brancher sur la détermination du dedans, autrement dit le mécanisme proprement rationnel apte à saisir le rapport entre toutes ces choses qui arrivent à la fois, : comprendre leurs convenances, différences et oppugnances. (id)

    Cette détermination du dedans est la raison humaine, notre programmation à raisonner. Si elle permet l'adéquation, c'est qu'elle est une « manière » de la programmation qui détermine l'ensemble du système, une actualisation de l'essence rationnelle de deussivenatura soi-même. Substance, individu : même combat, même raison. La connaissance adéquate consiste dans l'application de la détermination interne de la raison (le point de vue humain) à la détermination externe (le point du vue de la nature, de l'ensemble du système).

     

    « Application » est le mot le plus adéquat que je trouve. Au double sens d'effort et de correspondance, c'est lui l'acte éthique d'adéquation (belle allitération). Dans le plan physique s'appliquer à recueillir la présence des choses, par l'attention au réel et l'ouverture des sens hors préjugé. Dans le plan mental, s'adonner avec soin à dérouler le fil logique, à mettre les données éparses en ordre de compréhension.

    Cette correspondance, là est l'intérêt de la connaissance adéquate, articule la connaissance et la liberté, subvertissant de l'intérieur la loi déterministe, la retournant à l'avantage de l'humanité.

    Il est de la nature de la raison de contempler les choses non comme contingentes, mais comme nécessaires. (Prop44 Part2).

     

    Idée développée avec un admirable lyrisme à la fin de la Partie 4 (chap32)

    La puissance de l'homme est extrêmement limitée, et infiniment surpassée par la puissance des causes extérieures ; et par suite nous n'avons pas le pouvoir absolu d'adapter à notre usage les choses qui sont hors de nous (…) nous sommes une partie de la nature tout entière, dont nous suivons l'ordre.

    Si nous comprenons cela clairement et distinctement, cette part de nous qui se définit par l'intelligence, c'est à dire la meilleure part de nous, y trouvera pleine satisfaction, et s'efforcera de persévérer dans cette satisfaction. Car en tant que nous comprenons, nous ne pouvons aspirer à rien qui ne soit nécessaire, ni, absolument parlant, trouver de satisfaction ailleurs que dans le vrai ; et par suite, en tant que nous comprenons correctement ces choses-là, en cela l'effort (conatus) de la meilleure part de nous-mêmes convient avec l'ordre de la nature entière.

    La puissance de la raison chez Spinoza ressemble ainsi à une technique d'arts martiaux : l'homme qui comprend utilise à son profit l'énergie brute du système. Telle est la connaissance du deuxième genre.

     

    Et puis il y a un bonus, la connaissance du troisième genre. Une espèce de raccourci. Spinoza la nomme science intuitive, qui permet de voir les rapports d'un seul coup d'oeil. Faut le bon point de vue. Pour cela prolonger la prop 44 ci-dessus par son corollaire : Il est de la nature de la raison de percevoir les choses sous un certain aspect d'éternité (sub quadam aeternitatis specie). Rappelons aux étourdis que l'éternité est l'existence-même, c'est à dire la fonction exister hors ses valeurs prises dans la durée (Part 1 déf 8 cf B.6)

    La connaissance du troisième genre consisterait donc en un branchement direct sur la fonction qui code deusivenatura, disons « l'algorithme-vie ». Et donc parfaitement accessible en tout point du système, à propos de chacun de ses constituants du seul fait qu'ils existent, sans long parcours d'un fil de raisonnement.

    Oui mais concrètement, comment faire pour la rencontre du troisième type ? Aucune idée. Bon, pour dire le fond de ma pensée je subodore qu'il n'y a rien à faire. J'entends faire : rien, vraiment. Ce qui est difficile à pas mal de gens, et à moi particulièrement. Donc pour l'heure contentons-nous d'admettre que l'adéquation est possible dans le deuxième genre, dans la mesure où nous sommes des choses de raison.

    Du moins c'est l'hypothèse de Spinoza. A regarder le monde (et moi particulièrement) j'ai une vieille tendance à lui laisser la responsabilité de son optimisme.

    A suivre

     

  • B.attitude (11) Mauvais genre

     

    Résumé. Les explorateurs de l'Ethique, partis en quête de la béatitude, pensaient se laisser glisser au fil d'un long fleuve tranquille. Mais, d'épisode en épisode, ils ont constaté qu'il leur fallait ramer plus souvent qu'à leur tour, rencontrant écueils logiques, tourbillons déterministes et remous substantiels. Au point que certains, tels l'Abbé Attitude, commençaient à se demander si leur GPS (Guide pour Spinoza) était bien fiable. Heureusement, le dernier épisode leur a laissé entrevoir un peu plus clairement la suite du parcours.

    « Prendre direction Connaissance Adéquate. Puis suivre le fléchage Conatus jusqu'à Affects. Là laisser la dérivation Tristesse, chercher le balisage Joie. Puis vous êtes arrivés ».

     

    L'éthique n'est pas une question de bonne volonté, mais de bon désir, c'est à dire de motion vers un usage éclairé des interactions du système.

    Pour un bon usage des affects, il faut, dit Spinoza, comprendre exactement comment marche le billard, les trajets et combinaisons de trajets, les vitesses et énergies relatives. Car ainsi on n'ira pas à l'encontre de l'énergie et du dynamisme du système (ce qui serait peine perdue de toutes façons), on saura au contraire libérer son aptitude à y participer pour son meilleur usage et bonheur.

    C'est ici qu'intervient la connaissance adéquate (adaequata cognitio).

    Ad-aequata indique la recherche d'un ajustement. Se mettre au niveau du monde, s'y situer de plain-pied, de façon à ne pas vivre en porte à faux. Cet acte de mise en adéquation est au fond la seule obligation morale énoncée dans le livre, le seul véritable effort nécessité pour accéder au comportement éthique adapté. Et donc au bonheur. Comment ça marche ?

    Chaque élément du billard concret des corps trouve son correspondant dans la série des idées (les unes images perceptives et les autres interprétations de ces images). L'ensemble ainsi translaté constitue l'esprit humain.

    Ces séries obéissent à deux déterminismes qui restent parallèles (comme notre borne départementale et nos pensées s'il vous en souvient voir B.6).

     

    Ainsi les règles du billard des corps ne peuvent être connues dans la série des corps, les corps ne savent pas connaître. Ils ressentent et se meuvent, ils sont présents, c'est tout. Mais la série des idées reçoit par l'entendement les informations de la série des corps. Là se déroule le fil des enchaînements, se représente la courbe de la boule de billard. Dans la série des idées s'établit la médiation entre la substance étendue des corps et la substance pensante de l'esprit. Encore faut-il vérifier à chaque étape du trajet des infos que l'entendement ne fait pas de fiction, mais produit un reportage au plus près du réel des corps. Il s'agit de déjouer les pièges de l'imaginaire.

     

    Reportage difficile dans la complexité du réel externe et interne, dans la quantité des interactions du jeu de billard. Pour accéder à la connaissance claire, précise, complète, à l'adéquation au monde, il est alors besoin, dit Spinoza, de re-former l'entendement dans le sens de la simplification.

    Chaque chose est une manière particulière, d'où d'infinies différences. Mais chaque manière, cela n'a plus de secret pour nous, n'est qu'une expression de l'unique substance. Par conséquent, plutôt que se prendre la tête avec les manières, les formes de chaque modèle, robe, veste, on peut se contenter de les considérer à partir de leur caractère commun : ils sont faits du même tissu (j'ai décidé d'user cette métaphore jusqu'à la trame).

    C'est donc en fonction du tissu et non des modèles qu'il sera plus simple de chercher la connaissance adéquate.

    Les choses qui sont communes à tout, et sont autant dans la partie que dans le tout, ne peuvent se concevoir qu'adéquatement. (Part 2 prop 38).

     

    A partir de là on va découvrir qu'il y a une mauvaise et deux bonnes façons de travailler sur le tissu. Il s'agit de ce que Spin appelle les trois genres de connaissance.

    Il admet que les philosophes ont compris l'utilité des notions communes. Mais comme ils n'ont en général pas pris toute la mesure du fait qu'être au monde ne peut se faire hors corps, ils n'ont pas vu non plus la difficulté inhérente au passage de la série des corps à celle des idées : nous formons des notions universelles à partir des singuliers qui se représentent à nous par l'entremise des sens de manière mutilée, confuse et sans ordre pour l'intellect. C'est pourquoi j'ai coutume d'appeler de telles perceptions connaissance par expérience vague. (Part 2 prop 40 sc 1)

    Tout aussi confuse, la connaissance par opinion ou imagination qui se réfère à des signes, autrement dit à des automatismes d'association. Lesquels ne sont pas fiables, car ils ont pour support des contenus mémoriels archivés sous l'effet d'affects aléatoires.

    Il faut noter que tous ne forment pas ces notions de la même manière, mais qu'elles varient pour chacun en fonction de la chose qui a le plus souvent affecté le corps et que l'esprit a le plus de facilité à se rappeler.

     

    Expérience vague, opinion et imagination, telle est donc la connaissance du premier genre. Même (surtout?) sous couvert de philosophie, elle n'est qu'une pseudo-connaissance molle ne mettant pas en jeu l'acuité potentielle de l'intellect.

    Il ne faut donc pas s'étonner qu'entre les philosophes qui ont voulu expliquer les choses naturelles par le seul moyen des images des choses, il se soit élevé tant de controverses.

    S'il n'y avait que les philosophes ... Mais songeons qu'une bonne illustration de ce premier genre de connaissance est le discours publicitaire, et que non content de se consacrer à fourguer des sodas, il a envahi le champ politique, artistique, intellectuel, relationnel, pour y cultiver controverse, violence et connerie.

    Voilà pourquoi faudrait envisager de changer de genre.

    A suivre.

  • B.attitude (10) Parlons peu parlons bien

     

     

    Résumé.

    Dans leur partie de billard autodéterminée, nos héros commencent à avoir les boules. Oui c'est comme ça les blagues à deux balles ça me fait rire, c'est au moins ça de pris. Qui sait même si ce n'est pas le plus important ? Car le rire, tout comme la plaisanterie, est pure Joie (…) Car en quoi est-il plus convenable d'éteindre la faim et la soif que de chasser la mélancolie ?

    (Part 4 prop 45 sc du coroll 2).

     

    Cela dit normal qu'on flippe. Il y a en effet de quoi se demander à ce stade du parcours : la liberté n'est-elle pas qu'un mot chez Spinoza ? Et qu'on l'écrive sur le tapis du billard, la trajectoire de la boule, ou sur mes cahiers d'écolier, cela ne change rien à rien. A l'arrivée elle se résume à « c'est à prendre ou à prendre », non ?

    Y a de ça. En fait, il faut une fois de plus revenir à la proposition effrontément lapidaire : Par réalité et perfection j'entends la même chose. (Part 2,déf 6)

    Une proposition qui rend logiquement impossible le refus de la réalité. Per-fection = achèvement. La perfection, c'est ce qui ne laisse pas de dehors. Si réalité et perfection sont identiques, il n'y a donc pas de dehors non plus à la réalité, d'où on puisse la refuser. Lacan dit à sa façon le Réel c'est l'impossible, ce qui n'est pas susceptible de l'alternative prendre ou laisser. C'est ainsi : le monde, toutes les « choses » sont à prendre ou à prendre.

     

    Oui mais l'éthique dans tout ça ? Prendre le monde, soit. Mais comment le prendre « bien » ?

    D'abord en s'entendant sur les mots.

    En ce qui concerne le bien et le mal (…) ils ne sont rien d'autre que des manières de penser ou notions que nous formons du fait que nous comparons les choses entre elles. Car une seule et même chose peut être en même temps bonne et mauvaise, et également indifférente. Par ex. la musique est bonne pour le mélancolique, mauvaise pour l'affligé (lugenti) ; et pour le sourd, ni bonne ni mauvaise. Quoiqu'il en aille ainsi, il nous faut pourtant conserver ces vocables (…) étant donné que nous désirons former une idée de l'homme à titre de modèle de la nature que nous ayons en vue(...) Et donc par bien j'entendrai dans la suite ce que nous savons avec certitude être un moyen de nous rapprocher de plus en plus du modèle de la nature humaine que nous nous proposons. Et par mal, ce que nous savons avec certitude nous empêcher de reproduire ce modèle. (Préface partie 4)

     

    Ce passage premièrement présente un exemple bien rigolo que j'ai laissé pour le plaisir. Accessoirement il apporte une précision capitale pour ne pas se gourer d'éthique. Le bien ou le mal ne sont pas des notions absolues, mais doublement relatives. Relatives à la situation/perception du sujet ; relatives à la définition qu'il peut s'en donner, le modèle qu'il se propose. Doublement ancrées dans le concret vécu : par sa perception, par sa conception. L'accès à l'éthique combine donc justesse de perception et justesse de conception.

    En outre, léger détail : même une fois acquises ces justes perception et conception du bien, il reste encore, surtout, à le faire. L'expérience prouve que la vraie connaissance du bien et du mal, tout en excitant des émotions de l'âme, le cède souvent à tout genre de caprice ; d'où est né le mot du poète : 'je vois le meilleur et l'approuve, je fais le pire'. (scol prop 17 Part 4)

     

    Pas de panique, c'est ici que Spinoza sort ses deux atouts maîtres : la connaissance adéquate et le conatus.

    La connaissance adéquate fera percevoir et concevoir ce qui fait vraiment du bien. Et le pouvoir-faire se libérera dans la logique du conatus. Le génie, l'apport absolument unique de Spinoza, c'est de montrer que les deux ne sont pas de deux ordres différents, ni même subordonnés logiquement ou temporellement l'un à l'autre, mais au contraire les deux faces simultanées d'une même réalité.

     

    Car en ce qui concerne le pouvoir-faire, l'élimination du libre arbitre implique d'entrée l'inefficacité de la notion de volonté, style « quand on veut on peut, sois un homme mon fils tout ça tout ça ».

    D'où au passage d'après Spinoza l'erreur de pas mal de philosophes, et même du grand Descartes, qui est d'avoir conçu l'homme dans la nature comme un empire dans un empire (Préface Part 3, voir aussi préface Part 5) faute d'avoir saisi la radicalité du déterminisme impliquant la relativité généralisée. Et ainsi d'avoir cru possible la maîtrise des affects par la volonté au sens moral habituel.

     

    C'est le moment de noter que par volonté j'entends la faculté d'affirmer et de nier, et non le désir. (Part 2 scolie prop 48)

    C'est pourquoi La volonté et l'intellect sont une même chose. (Cor prop 49 part 2) Pas vouloir ceci ou cela, mais dire oui c'est vrai ou non c'est faux.

     

    La partie éthique ne se gagnera donc pas dans une stratégie de puissance de « l'esprit » sur le « corps », qui ressortit à l'illusion méta-physique. On n'a de chances de la gagner que si on la joue sur le seul terrain réel et non imaginaire, celui du billard substantiel autodéterminé. Il faut donc considérer les interactions des boules de billard.

    Je traiterai donc de la nature des affects et de leurs forces, et de la puissance de l'esprit sur eux, suivant la même méthode que j'ai utilisée dans ce qui précède à propos de Dieu et de l'esprit, et je considérerai les actions et appétits humains comme s'il était question de lignes de plans et de corps.

    (Préface Partie 3)

     

    A suivre