Résumé.
Dans leur partie de billard autodéterminée, nos héros commencent à avoir les boules. Oui c'est comme ça les blagues à deux balles ça me fait rire, c'est au moins ça de pris. Qui sait même si ce n'est pas le plus important ? Car le rire, tout comme la plaisanterie, est pure Joie (…) Car en quoi est-il plus convenable d'éteindre la faim et la soif que de chasser la mélancolie ?
(Part 4 prop 45 sc du coroll 2).
Cela dit normal qu'on flippe. Il y a en effet de quoi se demander à ce stade du parcours : la liberté n'est-elle pas qu'un mot chez Spinoza ? Et qu'on l'écrive sur le tapis du billard, la trajectoire de la boule, ou sur mes cahiers d'écolier, cela ne change rien à rien. A l'arrivée elle se résume à « c'est à prendre ou à prendre », non ?
Y a de ça. En fait, il faut une fois de plus revenir à la proposition effrontément lapidaire : Par réalité et perfection j'entends la même chose. (Part 2,déf 6)
Une proposition qui rend logiquement impossible le refus de la réalité. Per-fection = achèvement. La perfection, c'est ce qui ne laisse pas de dehors. Si réalité et perfection sont identiques, il n'y a donc pas de dehors non plus à la réalité, d'où on puisse la refuser. Lacan dit à sa façon le Réel c'est l'impossible, ce qui n'est pas susceptible de l'alternative prendre ou laisser. C'est ainsi : le monde, toutes les « choses » sont à prendre ou à prendre.
Oui mais l'éthique dans tout ça ? Prendre le monde, soit. Mais comment le prendre « bien » ?
D'abord en s'entendant sur les mots.
En ce qui concerne le bien et le mal (…) ils ne sont rien d'autre que des manières de penser ou notions que nous formons du fait que nous comparons les choses entre elles. Car une seule et même chose peut être en même temps bonne et mauvaise, et également indifférente. Par ex. la musique est bonne pour le mélancolique, mauvaise pour l'affligé (lugenti) ; et pour le sourd, ni bonne ni mauvaise. Quoiqu'il en aille ainsi, il nous faut pourtant conserver ces vocables (…) étant donné que nous désirons former une idée de l'homme à titre de modèle de la nature que nous ayons en vue(...) Et donc par bien j'entendrai dans la suite ce que nous savons avec certitude être un moyen de nous rapprocher de plus en plus du modèle de la nature humaine que nous nous proposons. Et par mal, ce que nous savons avec certitude nous empêcher de reproduire ce modèle. (Préface partie 4)
Ce passage premièrement présente un exemple bien rigolo que j'ai laissé pour le plaisir. Accessoirement il apporte une précision capitale pour ne pas se gourer d'éthique. Le bien ou le mal ne sont pas des notions absolues, mais doublement relatives. Relatives à la situation/perception du sujet ; relatives à la définition qu'il peut s'en donner, le modèle qu'il se propose. Doublement ancrées dans le concret vécu : par sa perception, par sa conception. L'accès à l'éthique combine donc justesse de perception et justesse de conception.
En outre, léger détail : même une fois acquises ces justes perception et conception du bien, il reste encore, surtout, à le faire. L'expérience prouve que la vraie connaissance du bien et du mal, tout en excitant des émotions de l'âme, le cède souvent à tout genre de caprice ; d'où est né le mot du poète : 'je vois le meilleur et l'approuve, je fais le pire'. (scol prop 17 Part 4)
Pas de panique, c'est ici que Spinoza sort ses deux atouts maîtres : la connaissance adéquate et le conatus.
La connaissance adéquate fera percevoir et concevoir ce qui fait vraiment du bien. Et le pouvoir-faire se libérera dans la logique du conatus. Le génie, l'apport absolument unique de Spinoza, c'est de montrer que les deux ne sont pas de deux ordres différents, ni même subordonnés logiquement ou temporellement l'un à l'autre, mais au contraire les deux faces simultanées d'une même réalité.
Car en ce qui concerne le pouvoir-faire, l'élimination du libre arbitre implique d'entrée l'inefficacité de la notion de volonté, style « quand on veut on peut, sois un homme mon fils tout ça tout ça ».
D'où au passage d'après Spinoza l'erreur de pas mal de philosophes, et même du grand Descartes, qui est d'avoir conçu l'homme dans la nature comme un empire dans un empire (Préface Part 3, voir aussi préface Part 5) faute d'avoir saisi la radicalité du déterminisme impliquant la relativité généralisée. Et ainsi d'avoir cru possible la maîtrise des affects par la volonté au sens moral habituel.
C'est le moment de noter que par volonté j'entends la faculté d'affirmer et de nier, et non le désir. (Part 2 scolie prop 48)
C'est pourquoi La volonté et l'intellect sont une même chose. (Cor prop 49 part 2) Pas vouloir ceci ou cela, mais dire oui c'est vrai ou non c'est faux.
La partie éthique ne se gagnera donc pas dans une stratégie de puissance de « l'esprit » sur le « corps », qui ressortit à l'illusion méta-physique. On n'a de chances de la gagner que si on la joue sur le seul terrain réel et non imaginaire, celui du billard substantiel autodéterminé. Il faut donc considérer les interactions des boules de billard.
Je traiterai donc de la nature des affects et de leurs forces, et de la puissance de l'esprit sur eux, suivant la même méthode que j'ai utilisée dans ce qui précède à propos de Dieu et de l'esprit, et je considérerai les actions et appétits humains comme s'il était question de lignes de plans et de corps.
(Préface Partie 3)
A suivre