Résumé de la situation. Notre héros a dégagé la route vers la béatitude en dynamitant le bastion métaphysique (Tudieu la métaphore !) Les explorateurs de l'Ethique sont-ils pour autant au bout de leurs peines et par voie de conséquence cette série au bout de ses épisodes ? Je crains que non. Ils ont certes apprivoisé le monstre conceptuel Deusivenatura, mais tel Ulysse ballotté de Charybde en Scylla, ils voient à présent se dresser devant leur entendement un autre obstacle, non moins déroutant.
Est dite libre, la chose qui existe par la seule nécessité de sa nature et se détermine par soi seule à agir. (Part1déf.7)
Une définition carrément gonflée, n'hésitant pas à associer le mot liberté avec nécessité, détermine. Encore un monstre conceptuel que ce carpin, hybridation de la carpe déterminée et du libre lapin ? Pas si monstrueux pourtant en logique substantielle (toujours elle). Nécessité ou déterminisme sont intrinsèques à la nature des choses. Par conséquent rien d'elle, aucun de ses attributs, ne peut se concevoir en dehors d'eux. Il ne faut donc pas chercher de liberté abstraite ni métaphysique, mais changer nos paradigmes pour la voir dans sa réalité substantielle, comme propriété émergente de la détermination-même.
Je ne doute pas qu'il s'en trouve beaucoup pour rejeter cette proposition comme absurde pour la seule raison qu'ils ont l'habitude d'attribuer à Dieu (sive natura, rappelons-le) une autre liberté, bien différente de celle que nous avons dite ; à savoir une volonté absolue.(Part 1, prop33, sc2).
Cette proposition récuse une conception de la liberté comme déliaison du système. (Absoluta = dénouée, ayant défait un lien). Tout ça est une histoire au dénouement impossible, du moins sans deus ex machina. Et ici le deus est in machina.
Une machine qui joue une sorte billard aussi universel qu'automatique. Un corps en mouvement ou au repos a nécessairement été déterminé au mouvement ou au repos par un autre corps, qui lui aussi a été déterminé au mouvement ou au repos par un autre, et celui-ci à son tour par un autre, et ainsi à l'infini. (Partie 2, lemme 3 après la prop13)
Chaque boule parcourt une trajectoire dépendante de multiples facteurs, d'interactions infinies de causes et d'effets. Dans la mesure où elle participe de la substance deussivenatura, il lui est impossible de refuser la règle du jeu, les lois de la biophysique, la condition naturelle. Laquelle inclut la condition humaine. Et toute autre condition d'ailleurs. L'Ethique est écrite du point de vue d'un roseau pensant, mais si un roseau non pensant savait écrire, il ne pourrait que dire la même chose. Et aussi l'électron, la lumière, l'abeille, le chien.
Telle est la conséquence d'une logique radicalement matérialiste impliquée elle-même par le concept de substance unique : premièrement l'homme n'est qu'une res parmi les res du réel. Nécessairement non séparé du reste de la matière/réalité et des lois de son fonctionnement. Et deuxièmement jusques et y compris dans sa pensée de roseau pensant.
Dans l'esprit nulle volonté n'est absolue, autrement dit libre ; mais l'esprit est déterminé à vouloir ceci ou cela par une cause, qui est elle aussi déterminée par une autre, et celle-ci à son tour par une autre, et ainsi à l'infini.
(Prop 48 Part 2)
Car la substance pensante et la substance étendue sont une seule et même substance, que l'on embrasse tantôt sous l'un, tantôt sous l'autre attribut (…) et ainsi que nous concevions la nature sous l'attribut de l'étendue ou sous l'attribut de la pensée ou sous n'importe quel autre (là je dois dire ???), nous trouverons un seul et même ordre, autrement dit un seul et même enchaînement des causes. (scolie du coroll prop 7 part 2)
Bon Spin lui-même reconnaît que tout ça risque de nécessiter une petite aspirine. A partir d'ici je ne doute pas que les Lecteurs seront dans l'embarras et que bien des choses leur viendront à l'esprit qui les arrêteront, et c'est pourquoi je leur demande d'avancer avec moi à pas lents, et de ne pas porter de jugement avant d'avoir tout lu. (scol coroll prop 11 part 2).
Contentons-nous d'en retenir pragmatiquement la chose qui compte pour l'éthique (puisque c'est le but du jeu), pour la compréhension/gestion des affects.
Les hommes se croient libres pour la seule raison qu'ils sont conscients de leurs actions et ignorants des causes par quoi elles sont déterminées, et surtout, que les décrets de l'Esprit ne sont rien d'autre que les appétits eux-mêmes, et pour cette raison varient en fonction de l'état du Corps.
(Partie 3 sc de la prop2)
Pour accéder à une éthique, il faut donc d'abord admettre ceci :
Exit le ci-devant Libre Arbitre, seigneur autoproclamé de Toutes les Morales.
Peut être que si tout cela nous met dans l'embarras, c'est qu'il y a de quoi ressentir une sale blessure narcissique, celle-là même que Freud évoque, dans une page célèbre de l'Introduction à la psychanalyse, rappelant les deux graves démentis infligés à l'égoïsme naïf de l'humanité, d'abord par le système copernicien délogeant la terre du centre de l'Univers, puis par Darwin montrant à l'homme l'indestructibilité de sa nature animale. Démentis auxquels il ajoute triomphalement son propre travail qui se propose de montrer au moi qu'il n'est pas seulement maître dans sa propre maison.
(Car pour lui Freud côté narcissisme, ça va merci).
A suivre