La sottise est une mauvaise qualité ; mais de ne la pouvoir supporter, s'en dépiter et ronger, comme il m'advient, c'est une autre sorte de maladie qui ne doit guère à la sottise en importunité ; et est ce qu'à présent je veux accuser du mien. (Essais III,8 De l'art de conférer)
Imaginons un sondage. Quel que soit le panel, à la question n°1 « êtes-vous sot ? » (à traduire le cas échéant par êtes-vous con) 100% des personnes interrogées répondront non. Moi aussi d'ailleurs en fait. C'est pas si souvent que je peux partager sans réticence l'opinion majoritaire, alors je ne boude pas mon plaisir. C'est fou le bien que ça fait d'être rassuré sur sa normalité.
A la question n°2 « Tolérez-vous les sots ? »
« Non, pas du tout » : 75%
« Pas facilement » : 0,001%
« Il faut les renvoyer dans leur pays » : 5%
« C'est quoi tolérer ? » : 18,999%
« Sans opinion » : 1%
Bon. J'ai eu raison de profiter du confort psychologique provoqué par ma réponse à la question 1, parce que je vais comme d'habitude me retrouver dans les profondeurs du classement. Je l'avoue, je fais partie des 1%. Oui je suis sans opinion sur la question de tolérer les sots. Je laisse le lecteur libre d'interpréter. D'aucuns penseront que je préfère ne pas me mouiller. Oui mais pourquoi ? Deux options ici : ou bien je sais que les sots sont une espèce dangereuse, et je préfère ne pas les provoquer. Autrement dit je développe une phobie des sots. Après tout, affligée déjà d'une grave phobie des chiens, je dois reconnaître mon tropisme phobico-parano.
Ou bien, étant du signe de la Balance je me précipite toujours sur les possibilités de différer toute injonction au choix. Fromage ou dessert ? Euh. Un dessert ne me fait-il pas plus envie ? Oui, mais un fromage c'est plus raisonnable. Quoique. Les fromages c'est de la matière grasse aussi, non? Et puis en fait est-ce que j'ai encore faim ? Pas vraiment. Mais si je me fais plaisir avec un dessert, peut être que je fumerai une cigarette de moins ? Ou deux ?
D'autres lecteurs imagineront qui sait que mon absence d'opinion résulte d'un positionnement philosophique. Telle Socrate, j'inciterais ainsi à dépasser l'immédiateté de l'opinion reçue pour me poser la bonne question. Et ainsi m'atteler à définir la sottise.
Et quand je dis m'atteler, je pèse mes mots.
L'obstination et ardeur d'opinion est la plus sûre preuve de bêtise. Est-il rien certain, résolu, dédaigneux, contemplatif, grave, sérieux, comme l'âne ? (III, 8)
Vous voulez que je vous dise, en voilà un qui aurait mérité d'être du signe de la Balance. D'ailleurs entre nous je dirais que la balance est clairement le logo de l'entreprise Essais, puisque Montaigne avait fait dessiner une balance sur un mur de sa librairie, assortie de la devise « Que sais-je ? ». Naturellement il ne faut pas assimiler purement et simplement le fait de poser cette question et celui d'être définitivement sans opinion. Il s'agit juste de se donner le temps de peser les choses, de suspendre son jugement, comme on dit chez les philosophes sceptiques ou chez les hommes politiques habitués à la recherche de synthèses improbables.
A la question n°3 « Avez-vous rencontré des sots ? », cela donnerait :
« Oui, souvent » : 90%
« Oui, régulièrement » : 9 %
« Le moins possible » : 1%
Et crac. Me voici encore dans le 1%. Décidément il n'y a que du point de vue de mon rapport à Wall Street que je me place clairement dans les 99%. Je ne sais dire ce qu'est la sottise exactement. Mais j'ai assez vécu chers lecteurs pour avoir constaté qu'elle ne consiste pas essentiellement en un contenu objectif de pensées ou d'opinions stupides ou fausses. Cela ça s'appelle l'erreur, et comme chacun sait il n'est rien de plus humain.
La vraie sottise, la grave, la dangereuse, la mortelle souvent, résulte d'une absence (allez je lâche le mot) d'éthique dans le dialogue.
Il est impossible de traiter de bonne foi avec un sot. Mon jugement ne se corrompt pas seulement à la main d'un maître si impétueux, mais aussi ma conscience. (...)
Comme notre esprit se fortifie par la communication des esprits vigoureux et réglés, il ne se peut dire combien il perd et s'abâtardit par le continuel commerce et fréquentation que nous avons avec les esprits bas et maladifs. Il n'est contagion qui ne s'épande comme celle-là.
(III,8 De l'art de conférer)
La sottise dont parle Montaigne est le fait de pervers. Ceux qui cherchent à vous embrouiller, qui vous tirent vers le bas, jouent sur les réflexes de rivalité mimétique et de peur pour vous empêcher de penser, de raisonner pour devenir un peu moins con.
Ceux-là, où qu'on les trouve, sont à fuir comme la peste.