Pour A abécédaire s'imposait. Mais avec B le champ des possibles s'ouvre de manière vertigineuse. Et le silence de ces espaces, même s'il n'est pas éternel mais provisoire puisque je vais forcément y mettre un terme, ne laisse pas de m'effrayer. Disons de me plonger dans le doute. Profitons-en pour remarquer que, sauf pour les gens doués pour le doute dont je me flatte d'être, en général il ne donne pas sa pleine mesure d'emblée, comme il se vérifie par le théorème dit « du saut en parachute » : la première fois on y va sans réfléchir, c'est le deuxième saut qui vous confronte pour de bon à votre peur. Inutile de dire que le saut en parachute est en bonne place dans ma black list « activités à éviter », avec l'escalade, le rafting, le funboard, le ski, la F1, le patin à roulettes. Je hais la vitesse et le déséquilibre. Il paraît que c'est un problème d'oreille interne, mais qui n'a pas ses petites misères ? Le ski c'est surtout à cause de la neige.
Bref, quel mot pour B ? Là je pourrais jouer la facilité et dire : B comme bref, et par conséquent basta j'arrête ici. Mais la facilité est aussi dans une de mes black lists, et franchement celle-là j'aimerais bien la déchirer un jour. C'est celle que m'a dictée mon surmoi qui n'est pas un rigolo. Attendez qu'on arrive à s, je lui réglerai son compte en beauté. Beauté pour B c'était bien. Comme bien ou bonté, ou béatitude, qui nous aurait rappelé Spinoza. Il y a aussi bénédiction dans le genre. Mais tous ces mots n'ont pas besoin de beaucoup de commentaires. De deux choses l'une : ou bien on les prend au sérieux et le monde est un paradis ... On voit donc que c'est l'autre option qui a été choisie : ils sont des mots qu'on dit sans les faire, et souvent pour ne pas avoir à les faire. Des mots alibis. Tiens, alibi c'était pas mal pour A. Mais il tombe bien en B, étant assez connexe de blabla. « Blabla : propos verbeux destiné à endormir la méfiance, voir baratin et boniment », dit Robert Dico, mon compagnon d'île déserte, cf A. Bon là le cf ne s'imposait pas, mais vous verrez quand on en sera genre à Y, vous serez bien contents de mon côté organisé et perfectionniste.
Pour ma part tout de même j'aurais été moins sévère avec blabla, car il y a du blabla innocent, juste pour passer le temps. On pourrait même soutenir la thèse comme quoi le blabla, avant d'être verbeux, est tout simplement verbal. J'entends par là qu'il n'est pas moins parole qu'autre chose. Parole vient de « parabolê », qui désigne en gros un truc qu'on jette à côté. Parler c'est toujours dire à côté, plus ou moins de biais. On n'aborde la cité du sens que par des voies de contournement. Certes il faut réduire l'écart quand les mots ont une incidence importante. Par exemple le langage scientifique essaie de ne pas faire de blabla. En revanche on laisse sciemment jouer l'écart en poésie ou dans l'art en général, style « Ceci n'est pas une pipe ».
Mais on est bien obligé de déduire, inversement, que l'usage du blabla dans les domaines à forte incidence sur la vie, comme la politique, ne sert qu'à éviter la réalité.