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Sujet

Du temps de ma jeunesse, et ça a duré assez longtemps ensuite, lorsqu'on se trouvait soumis à une incertitude, une perplexité, en butte à une difficulté, une complication, confronté à une opposition, un dérangement dans ses projets, en proie à un bouleversement, un tourment, un désarroi, bref quand y avait un hic, un os, un pépin, soit dans les cas graves qu'on se trouvât carrément pris dans un sac de nœuds, soit qu'on n'eût affaire qu'à un truc un peu chiant, on disait « j'ai un problème, un putain de blème ». (En ces temps tout juste postsoixantehuitards, le verbe était hélas peu châtié, je n'ose imaginer quelles incongruités on eût alors tweeté si le tweet eût existé).

Puis vint l'essor du PC et de l'informatique pour tous, tandis que déclinait l'autre PC et le marxisme ringardisé, que se levait l'aurore triomphante du néolibéralisme, quand vint l'essor de l'informatique pour tous au service du chacun pour soi, on entendit couramment les plus branchés énoncer dans les cas ci-dessus « c'est le bug ».

Expression qui donne la mesure du désarroi impliqué par la confrontation à la machine, à ses automaticités inhumaines, aux ballottements technologiques n'ayant rien à envier à ceux que subit en son temps ce pauvre Charlot réduit à un rouage dans le mécanisme des Temps Modernes.

Mais l'homme a des ressources humaines. Des thérapeutes modernes empathiques et philanthropres nous offrirent, contre une rétribution somme toute légère, les clés du travail sur soi qui nous rendrait aptes à mieux gérer le stress induit dans l'entreprise et ailleurs. Le sésame parfait pour huiler les relations, relâcher les tensions prêtes à surgir en toute occasion de rencontre avec ses semblables, ils nous le révélèrent. Il fallait exprimer son ressenti subjectif. Alors nous sûmes livrer nos sentiments : « il y a un souci ». Alors nous sûmes réconforter nos interlocuteurs : « pas de souci ».

La charge de tant de soucis tous azimuts finit cependant par nous exposer aux affres du burning-out. Car, en humains trop humains, et contrairement aux banques ou aux directoires des entreprises, nous n'avions pas assez mesuré nos investissements. Il fallait remettre de la distance entre nous et nos affects (et surtout ceux des autres), conférer aux rapports humains un cadre dépassionné, redonner droit de cité à la rationalité qui réclamait asile. Raison pour quoi, j'imagine, depuis quelque temps devant un emmerdement, un désaccord, un problème-bug-souci, on dit sobrement, objectivement : « c'est un sujet », voire « un vrai sujet ».

 

A propos (de vrai sujet, donc moi) j'ai toujours évité de dire souci car je suis un peu phobique. Quant à dire sujet lequel ? De thèse, grammatical, cartésien, inconscient, soumis à un despote ? J'en reste donc à problème, qui touche je ne sais quelle fibre en moi, amour des math, nostalgie de ma jeunesse … Sans me vanter j'ai donc des problèmes, et je n'ai que ça. Quant à les résoudre, n'entamons pas le sujet.

 

 

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