Le X est fascinant. Rien que du point du vue grammatical, voilà une lettre qui est aussi substantif et adjectif, ce qui n'est pas donné à toutes, et même en fait à aucune autre.
Mais surtout X fait entrer dans le territoire de l'inconnu, et par conséquent dans celui de l'imaginaire et de l'abstraction. En algèbre, symbole littéral désignant une inconnue. Souvenir de petits moments de mathématique pas trop compliquée, dans le plaisir de jouer avec cet X lors de la résolution d'une équation. Le faire passer d'un côté puis de l'autre du signe de l'égalité, comme dans une balade on repasse plusieurs fois à gué le même ruisseau, mais un peu plus haut, un peu plus bas. « Manipuler » (ainsi disaient parfois les profs) le X, le multiplier, le diviser, l'acoquiner avec des vrais chiffres en clair et sans code, mêler cet inconnu à la banalité, l'évidence d'un 2 ou d'un 210. Chaque manipulation le faisait un peu plus précis, lui ôtait du flou, jusqu'au moment où s'écrivait noir sur blanc X = 7. Moment à la fois triomphal et toujours un peu décevant. Cet X qui se cachait dans l'énigme de l'équation, auréolé du mystère, de l'indéterminé du mot d'inconnue, se retrouvait finalement là posé sur la feuille, résolu, identifié à un 7 tout bête, comme déchu de son vertigineux possible.
X c'est aussi le chromosome X, un chromosome fort sympathique ma foi, que se partagent les hommes et les femmes. En revanche accoucher sous X est nettement moins réjouissant. Et puisqu'on est dans cette sorte de choses, parlons des films X, du « porno ». Voilà un mot aussi moche et vulgaire que ce qu'il dit. C'est déprimant de penser que la plupart des adolescents aujourd'hui ont pour premier aperçu de l'acte amoureux le sexe vu par l'industrie du porno, une mécanique répétitive de gestes aussi formatés que les parties du corps utilisées. Espérons que leur sensibilité et leur aptitude sentimentale soient les plus fortes face à ces aberrations, dont la stupide indigence n'a d'égale que l'angoisse haineuse à l'égard du corps féminin. Angoisse déniée, refoulée, qui constitue l'alpha et l'oméga de toutes les formes de l'antiféminisme, des plus soft aux plus abjectes.
Mais ne restons pas sur cette triste note, car l'X présente aussi le charme expérimental du fameux sonnet en X de Mallarmé, qui est à lui seul une pub pour le dictionnaire :
Ses purs ongles très hauts dédiant leur onyx,
L'Angoisse, ce minuit, soutient, lampadophore,
Maint rêve vespéral brûlé par le Phénix
Que ne recueille pas de cinéraire amphore.
Sur les crédences, au salon vide : nul ptyx,
Aboli bibelot d'inanité sonore …
Et pas que sonore, hein ?