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Phrases (1) A l'élève inconnu

« Je lui ai appris ce que je savais, et nous avons appris ensemble ce que je ne savais pas. »

 

Petite devinette : de qui est cette phrase ? Auteur français, traduction ? Texte de quelle époque ? Phrase d'un personnage dans une œuvre de fiction ? Quel contexte événementiel, âge, sexe des protagonistes, ce je ce nous ? Et si c'était plutôt extrait d'un apologue philosophique ? D'un journal, d'une autobiographie ? Phrase d'un vieux sage au crépuscule de sa vie, se livrant à un bilan paisible. Ou désenchanté ?

Cette phrase je l'ai trouvée il y a quelques années dans une copie de brevet. J'ouvre ici une parenthèse pour souligner l'utilité absolue du Brevet des Collèges. Un des Fleurons Incontestés d'un système d'enseignement que la galaxie entière nous envie : créativité des sujets, rigueur subtile du barème de correction, suspense insoutenable des résultats, tant de joies exaltantes à vivre par correcteurs et candidats unis dans la même sueur pédagogique.

L'épreuve de français propose un texte-support, sorte de couteau-suisse qui sert à tout, qui supporte à la fois des questions de compréhension et de langue et un sujet d'écriture. Lequel ce jour-là, à partir d'un extrait de Le Clézio, demandait au futurbreveté de s'identifier à un vieux SDF recueillant un gamin paumé ou l'inverse je ne sais plus. (Ce qui console de n'être pas écrivain nobélisé ni zable, c'est la certitude qu'aucun de ses textes ne deviendra texte-support. Non allez je suis sincère, en échange du Nobel ou à la rigueur du Fémina je supporterais toutes les épreuves qu'on voudrait).

En fait d'épreuve ce fut celle de me plonger, par 30°C et raboudinée sur une chaise bancale, dans les copies empilées devant moi sur le bureau tagué. Tags au demeurant pas plus inspirés que les copies, ce qui ne laissa pas de m'interroger, dans la mesure où contrairement à elles, ils ne pouvaient qu'être le fruit libre d'une création libre.

Or donc, dépliant dans une mornitude assoupie une énième copie double pattemouchée de propos convenus dans une orthographe et une syntaxe résolument libertaires elles, voici que je tombai sur la phrase-support de cette note. L'auteur accordant sans exception ses participes au masculin, j'admis que c'était un garçon. Par quel miracle un garçon de 15 ans portait-il déjà en lui comme une évidence le secret d'être parent, le secret de l'amour en général ? Et aussi, Dieu me maïeutise, le secret de la pédagogie, si bien que cette phrase pleine de sens me consola de l'absurdité de mon occupation correctrice. Oui là, à même la table taguée, tout comme Claudel fut saisi par la foi derrière un pilier de Notre-Dame, et Proust par une blonde madeleine au fond de sa tasse de thé à la Bergotte euh bergamote.

Probablement l'élève inconnu, inconscient de la sagesse inscrite en lui, livra-t-il sa phrase simplement comme au printemps l'arbre forme sa fleur.

J'espère que dans sa vie les fruits passeront la promesse des fleurs.

 

Quant à moi le parfum de ses mots m'extasie encore.

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