Le titre de Freud Considérations actuelles fait explicitement référence au titre de Nietzsche Considérations inactuelles (ou intempestives). C'est un texte où entre autres thèmes, Nietzsche aborde lui aussi la question de la guerre, à partir de celle qu'il a vécue, la guerre franco-prussienne de 1870. Il s'inscrit en faux contre l'impérialisme, la volonté de conquête et d'assujettissement, la volonté d'avoir le pouvoir (cf note du 17 août).
L'occasion de préciser que son concept fameux de « volonté de puissance » (Wille zur Macht) ne prêche pas une quelconque prise de pouvoir sur l'autre, sur le monde. Il désigne le désir et le choix résolu de l'agir concret, de la réalisation, par opposition à la spéculation comme à la passivité. Un désir et un choix qui se rapportent donc à une éthique (la proximité avec Spinoza est évidente). Une éthique avant tout personnelle. Sainte horreur de Nietzsche pour la masse en ce qu'elle est amorphe et malléable, le troupeau en ce qu'il est suiveur, le collectif en ce qu'il tue la responsabilité. Une horreur qui le rendit sensible à toute esquisse de totalitarisme. D'où l'aberration de sa récupération par l'idéologie nazie. Mais il est vrai que c'est le lot des pensées subtiles et créatrices comme la sienne de donner lieu à malentendus de la part de lecteurs sincères peut être mais peu éveillés. Ou alors d'être utilisées par petits malins et gros méchants de mauvaise foi pour leur faire dire ce qu'elles ne disent pas, au service du tropisme de mort et de violence.
Le titre de Freud est donc une façon d'inscrire ses réflexions sur la guerre de 14 dans la suite de celles de Nietzsche sur la précédente. Rien de nouveau sous le soleil noir de la déraison humaine avec ses fruits destructeurs. Reste aux humains un peu conscients et lucides à essayer de la considérer pour ne pas en rester sidérés. Résilience d'intellectuels à travers une vis analytica qui est leur mode propre de persévérer dans l'être. C'est exactement ce que veut faire Freud ici, en réponse aux embrouillages et enfumages de la propagande qui est le nerf intellectuel de la guerre comme l'argent en est le nerf matériel.
Pris dans le tourbillon de ces années de guerre, informé unilatéralement, sans recul par rapport aux grands changements qui se sont déjà accomplis ou qui sont en voie de s'accomplir, sans avoir vent de l'avenir qui prend forme, nous-mêmes ne savons plus quel sens donner aux impressions qui nous assaillent et quelle valeur accorder aux jugements que nous formons. (C'est moi qui souligne).
Comment mieux dire l'effet de la guerre, ce rouleau compresseur d'humanité, sur les trois axes qui font l'humain. Informé unilatéralement, l'intellect est incapable de pensée lucide. Assaillis d'impressions impossibles à interpréter ou à admettre, les sens sont débordés par le traumatisme. Quant aux jugements nécessaires à un comportement éthique, au discernement même minimal entre, non pas bien et mal, mais mieux possible et moindre mal, ils sont invalidés par l'effet schizogène et paranogène de la guerre, recomposant le rapport à autrui selon le seul paradigme binaire soumis ou ennemi.