Les essentiels, suite.
Dictionnaire des rimes écrites et orales, dictionnaire des synonymes.
Objets de première utilité où trouver les additifs et colorants qu'il est souvent utile d'insérer à la pâte brute de l'écriture pour la rendre plus comestible.
Le dico des rimes ne sert pas que pour faire des rimes, ni que pour la poésie en général. Il est surtout un bon catalyseur de jeu avec les sonorités et ainsi de libération de l'imaginaire. Il permet des rencontres que n'aurait pas reniées Monsieur Ducasse alias Lautréamont. Du genre croquet frisquet perroquet, dédale rhomboïdal gingival, genou gnou minou nounou …
Le dico des synonymes, à ne surtout pas utiliser pour éviter les répétitions. Une répétition est souvent utile à l'architecture de la phrase, et encore plus indispensable à la précision du sens. Car soyons clairs les synonymes ça n'existe pas. Chaque mot dit ce qu'il dit et pas autre chose. En revanche le dico des synonymes est un fameux suggesteur (ionneur ?) de connotations. A utiliser donc pour baroquiser un texte sur les voies incongrues de la création, et non pour le normaliser et le calibrer tel un fruit à écouler dans la grande distribution.
Essais. Si vous suivez un peu ce blog, fût-ce dans l'otium et l'intermittence, vous n'avez pu échapper à Montaigne. (Chanceux que vous êtes). J'ai connu dans ma vie nombre de bibliothèques et je ne me souviens plus si Montaigne était l'hôte des premières, celles de mon enfance, chez ma grand mère Jeanne par exemple. A l'époque il ne m'effleurait pas qu'on pût écrire un livre sans se nommer Enid Blyton ou Sophie de Ségur née Rostopchine. Leurs œuvres suffisaient à occuper ma première étagère des essentiels (et seule étagère d'ailleurs).
On a bien dû lire en cours de français, en 3° ou 2nde, un ou deux textes de Montaigne, mais l'envie de connaître Les Essais je la dois à ma prof de math de 1ère. Mlle M. entrait dans la classe, traçait au tableau équations et figures. Puis elle reprenait avec nous le parcours de ses hiéroglyphes, active et vive comme une enfant devant son lego, tout en se frottant le nez d'une main crayeuse. Enthousiasme et nez poudré restent ainsi en moi le souvenir du trip pédagogique où Mlle M. savait nous entraîner.
Un jour, devant une courbe et son asymptote, elle s'immobilisa longuement, craie suspendue, et finit par murmurer comme pour elle-même : « Oui ce petit espace impossible à annuler, si loin qu'on aille vers l'infini, celui dont parle Montaigne ... comment dit-il déjà ? ... »
Et Mlle M. de parcourir de son regard bleu-gris tous nos visages, lentement, presque anxieusement, comme si réellement elle attendait que l'un de nous lui répondît. Une émotion me serrait la gorge, et quand son regard croisa le mien, j'aurais aimé trouver quelque chose à dire, n'importe quoi, pour que le charme ne se brise jamais.