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Zarathoustra a le bourdon

« Où cesse la solitude commence le marché ; et où commence le marché commence aussi le vacarme des grands comédiens et le bourdonnement des mouches venimeuses.» Nietzsche Ainsi parlait Zarathoustra

Discours Les mouches du marché

 

Ce n'est que récemment qu'on a interdit l'augmentation du volume sonore lors de la diffusion des spots publicitaires. Fini le sursaut quand le poste de télé se mettait à hurler, piqué par une mouche inconnue. Puis on réalisait « ah merde, la pub », on se précipitait pour couper le son. Enfin, devant les gros plans racoleurs sur sodas, bagnoles ou culs, injonction aussi niaise que criarde au voyeurisme formaté (euh n'est-ce pas un pléonasme, voyeurisme formaté ?), on éteignait tout. Le marché s'accompagne en effet de vacarme, et plus généralement de toute autre production d'un flux massif et accéléré à destination des organes des sens. Il s'agit de déborder la capacité à filtrer et organiser les perceptions, de brouiller leur transmission vers les zones cérébrales capables de les analyser. Car le marché Tout-Vendeur et vendeur de tout (et n'importe quoi) à des gens qui ne savent pas de quoi ils ont besoin, nécessite la production constante d'un bruit qui parasite le circuit perception-réflexion, le circuit du raisonnement et de la pensée.

Après le pléonasme, voici donc des antonymes : marché et rationalité.

 

Vacarme et vitesse, efficaces agents décerveleurs à la solde du marché, sont bien présents dans la liturgie de la vente à la criée ou le discours des bonimenteurs au débit vertigineux. Et récemment encore ce n'étaient que hurlements à la corbeille de la Bourse, empilements chaotiques de voix, assortis de gestes d'automates saccadés et fébriles. Une histoire de bruit et de fureur racontée par un dément … Mais sans Shakespeare. Pour un spectacle aussi grossier que son but (arnaquer le concurrent sur le marché), nul besoin non plus du talent de grands comédiens, il y suffit l'agitation de pantins, manipulés à distance par leurs ventriloques absents, les donneurs d'ordres. Le vacarme de la corbeille est aujourd'hui remplacé par le bourdonnement des salles des marchés. Buzz d'ordinateurs écoulant une diarrhée que viennent butiner les petites mains de la main invisible, telles les mouches venimeuses leur tas d'ordures.

Avec l'image de la place du marché, récurrente dans Zarathoustra, Nietzsche construit une métaphore aiguë de la société. Le marché s'y oppose souvent, comme ici, à la solitude. S'agit-il de se retirer du monde à la manière d'un ermite, ou d'y rester (bien obligé) mais en misanthrope aigri ? Ou simplement de cultiver une certaine aptitude à la solitude ? Une aptitude à ne pas courir après l'appréciation et la reconnaissance, à ne pas confondre valeur réelle et valeur marchande ?

 

 

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