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Béa chez Zara

« Je vous le dis : il faut encore porter du chaos en soi pour pouvoir donner naissance à une étoile qui danse. »

Nietzsche (Ainsi parlait Zarathoustra Prologue 5)

 

Dans la pièce de Shakespeare Beaucoup de bruit pour rien, lorsque Bénédict complimente Béatrice sur son heureuse nature qui prend tout à la légère, elle évoque ainsi sa naissance : « Ma mère criait, mais il y avait une une étoile qui dansait, et de cette étoile je suis née. » (Acte 2 sc1)

Ah Shakespeare ... what else ?

Béatrice et Bénédict sont amoureux l'un de l'autre mais chacun se ferait hacher menu plutôt que l'avouer à l'autre, et même l'admettre en son for intérieur. Ce n'est pas un amour-propre superficiel qui leur ferait dire « à lui/elle de faire le premier pas ». C'est une profonde angoisse devant l'amour qui rend dépendant d'un autre, qui exige un don sans réserve. Alors, comme le feront leurs descendants en génie théâtral chez Marivaux ou Musset, ils cachent leur émoi derrière une tchatche de rappeurs. Le langage est un peu plus policé, mais c'est le même jeu de l'embrouille et du défi.

Sauf lorsque, parce que l'amour c'est plus fort que n'importe qui, et surtout que les personnages d'un grand dramaturge des passions, ils baissent la garde, comme ici Béatrice. Un instant, elle va laisser Bénédict apercevoir la rose qui tremble en elle (cf ma note du 18-10). Ma mère criait : tragique de l'existence mortelle qui s'inscrit entre les douleurs de l'enfantement et celles de l'agonie (en passant éventuellement par bien d'autres). En se donnant avec l'étoile une autre mère là-haut, Béatrice ne cherche pas à renier sa condition mortelle, mais la relie à la danse cosmique de la vie universelle.

Outre ce fabuleux moment poético-philosophique, la réplique permet de mettre l'intrigue sur ses rails. Bénédict saura saisir le message subliminal. « Une femme qui parle à un homme d'étoile qui danse, et cela sans raison apparente du style congrès d'astronomie, c'est que son inconscient tient à lui faire savoir qu'elle n'est pas totalement dépourvue d'impulsion libidinale à son égard » se dira-t-il. Non sans se demander « Comment suis-je au courant de ces histoires d'inconscient de libido et tout ça ? Se pourrait-il que mon créateur eût rencontré le docteur Truc, là, celui qui fait criser Onfray ? »

 

 

Zarathoustra fait donc écho à la réplique de Béatrice. Simple réminiscence ou allusion voulue ? Je penche pour l'option 2. Nietzsche confie l'image à son Zarathoustra pour qu'il la développe selon sa logique. Se reconnaître enfant d'étoile, c'est déjà bien. Mais il y a mieux encore, devenir créateur de l'étoile qu'on est. Bon. Jusqu'ici tout va bien, on se dit OK beau projet. Et puis on réalise : le matériau que Zarathoustra nous propose, comment dire, c'est du lourd, non ? 

Chaos.

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