J'ignore s'il existe un sondage sur la question, mais il ne fait aucun doute que la cote de popularité du chaos n'est pas au plus haut. Le mot se trimbale des connotations toutes plus apocalyptiques les unes que les autres. Plein d'évocations de forces obscures, le chaos fait dans le chtonien grave. Faites l'expérience dites à votre patron « La réunion d'hier, j'ai trouvé carrément chaos ! », ou à votre compagnon/compagne « Depuis qu'on est ensemble, ma vie est un super chaos », vous verrez comment ça sera reçu.
Cependant quand vous direz à votre gamin chéri « Toto, range ta chambre, ça fait dix fois que je te le dis ! », si la réponse est : « Mais maman/papa, il faut porter encore du chaos en soi pour donner naissance à une étoile qui danse, comme dans Billy Elliot ! » là vous commencerez à devenir réceptifs à la positivité potentielle du terme. Alors ? Positif, négatif, négatif, positif ?
Faisons appel à l'étoile incontestée de la sémantique, j'ai nommé Robert.
« Chaos 1 Vide ou confusion existant avant la création (voir tohu-bohu)
2 Confusion désordre grave 3 Entassement désordonné de blocs de rochers 4 Chaos moléculaire distribution désordonnée des positions et vitesse des molécules d'un gaz parfait en équilibre Contraires : harmonie, ordre. »
Le n°2 ne peut qu'évoquer le « chaos syrien » (ou irakien ou malien etc.) qui hante gazettes et jités. Globalement ce qui ressort de plus clair de Robert, c'est que le chaos ne l'est pas, clair. Confusion deux fois, désordre trois fois, (même 4 car contraire ordre = désordre en bonne logique) : on se croirait dans la chambre à Toto.
Pourtant, je sais pas vous, mais je trouve particulièrement suggestif le n°4. Comme dirait Spinoza, la physique dépasse la fiction. En outre voilà qui permet de satisfaire la pulsion effrénée à la synthèse qui peut saisir les meilleurs d'entre nous, et je ne veux nommer personne. Dans ma prochaine vie je ferai gaz parfait c'est décidé.
Pour revenir à Zarathoustra puisque c'est quand même lui qui nous a fourrés dans ce bazar, nul doute qu'il prend chaos au sens n°1, celui du tohu-bohu de la Genèse.
La terre était tohu-bohu, une ténèbre sur les faces de l'abîme, mais le souffle d'Elohim planait sur les faces des eaux. Elohim dit : une lumière sera. Et c'est une lumière. (Genèse chap1, v.2-3, traduction André Chouraqui).
La lumière n'est pas de culture hors sol, dit ce texte. Elle se révèle dans le chaos par une parole qui en discerne la potentialité. Nietzsche dit la même chose, sur un mode (étonnamment?) sensuel et féminin. On dirait qu'il a vécu une grossesse, parce que c'est ça : on porte en soi un chaos de sensations, de matière mouvante et puis un jour le regard d'étoile d'un bébé où la vie vient continuer sa danse.
La vie créatrice on est tous tombés dedans quand on était petits. Si on la laissait faire, le monde serait un feu d'artifices d'étoiles dansantes. Parce que côté chaos, y a matière.