« Je leur enseigne à ne plus mettre la tête dans le sable des choses célestes, mais à la porter haute, une tête terrestre qui donne son sens à la terre ». Ainsi parlait Zarathoustra (Des prêcheurs d'arrière-mondes)
La teneur de ce discours est concentrée dans sa première phrase :
« Jadis Zarathoustra aussi avait projeté son illusion par delà l'humanité, comme tous les prêcheurs d'arrière-mondes. »
Tout est dit. L'élucidation d'une illusion. (Freud reprendra la thématique, en bon lecteur de Nietzsche et de quelques autres).
Nietzsche nomme arrière-monde le ci-devant autre monde, « ce monde d'où l'homme est absent, ce monde inhumain, qui n'est qu'un néant céleste.»
Arrière-monde fait bien entendre le côté régressif du fantasme d'au-delà.
Pourquoi fantasmer la transcendance ? Nous sommes marqués, explique Freud, par l'expérience archaïque du bébé que nous étions, radicalement hilflösig = en besoin d'aide, incapable de se suffire à soi-même. La première aide est donnée à l'enfant par ses parents (ou autre adulte tutélaire). Mais devenu adulte lui-même et s'étant découvert mortel (sans compter les autres patates qui font la condition humaine), il se retrouve hilflösig comme devant, l'angoisse métaphysique en prime. Que faire ? Où retrouver l'aide d'un plus puissant et plus sachant ?
La chercher dans une transcendance-refuge, un abri calfeutré dans lequel on a bon espoir de survivre même à la fin du monde (c'est à dire en pratique à sa propre mort) ? Réflexe d'autruches ! Mettre la tête dans le sable des choses célestes : bravo l'artiste. Bravo Monsieur Nietzsche pour ce petit bijou d'image surréaliste, loufoque, qui révèle votre génie caricaturiste. C'est drôle autant que philosophique, dans une veine et une verve qui évoquent (entre autres) l'Eloge de la folie d'Erasme.
Nietzsche joue ici sur un trait classique de la caricature : l'inversion du haut et du bas. S'y ajoute un double chamboulement du sens. Pour le sens concret (sens = direction) l'au-delà se révèle comme l'en-deçà, l'arrière-monde. Pour le sens abstrait de signification logique, le ciel se révèle non comme lieu de l'être suprême, mais comme néant céleste.
L'autruche à la tête enfouie croit-elle faire illusion grâce aux splendides plumes de son arrière-train ? Probablement, mais nous n'avons pas cette ressource. Il ne nous reste donc qu'à essayer de tenir bien debout sur nos pattes, pour suivre le conseil de porter haute une tête terrestre qui donne son sens à la terre.
Plus humaniste que ça tu meurs, non ?