« L'hiver, un hôte mauvais, s'est assis près de moi à la maison ; mes mains sont bleuies de la poignée de main de son amitié. »
(Ainsi parlait Zarathoustra. Sur le mont des oliviers)
Bien vu. Je me disais moi aussi pas plus tard que ce matin, me bouchonnant dans ma salle de bains qui n'est cosy que couci-couça : sans me vanter c'est l'hiver. Pas un hiver exceptionnel peut être, mais l'hiver c'est comme un con : pas besoin qu'il soit exceptionnel pour être insupportable. L'hiver est mauvais hôte, tout juste : à la fois de mauvaise compagnie et du genre à taper l'incruste même qu'on l'a pas invité, genre un mec qui ramerait pour être au 1er rang de la manif et sur la photo avec Angela ...
Alors oui je sais ce que vous allez dire : l'hiver dont parle Nietzsche est une métaphore. Glaciation du désir, engelures de l'âme. Oui peut être aussi mais pas seulement, pas d'abord. Nietzsche écrit au plus près du corps, de la réalité, du concret de la vraie vie. Il considère que là est la philosophie et pas ailleurs : c'est la thématique d'Ecce homo. Il y a deux façons de comprendre ce titre. Comme une identification mi-délire mi-raison à la figure christique. Mais aussi au plus près des mots, décapés de leurs strates de connotations. Voici un homme, Nietzsche. Un homme qui parle « de » lui, aux deux sens : il parle de qui il est, il parle à partir de lui, sans s'abstraire.
La tension entre ces deux acceptions renvoie au combat obsessionnel de Nietzsche contre le religieux, ce corps à corps existentiel qui fut sa lutte à lui de Jacob avec l'ange (Genèse 32, 25). Dionysos et le Crucifié, l'Antéchrist, le Crépuscule des idoles. Mais cela me fait aussi penser à la phrase d'un patient en HP, se prenant pour le Christ, à sa psychiatre : « Docteur, ici c'est plein de fous qui se prennent pour moi ! » (C'est pas une histoire inventée je vous assure). Nietzsche n'aurait pas mieux dit, pour faire entendre l'aliénation fondamentale du religieux. (Bon là c'est du rapide on y reviendra promis).
« Je l'honore, cet hôte mauvais, mais je préfère le laisser assis tout seul. Je préfère courir loin de lui ; et si on court bien on lui échappe ! »
Ah en plein hiver du temps, de l'intelligence et de la bonté, courir se réfugier dans un bon cagnard, et là, lucides et placides, lézarder au soleil. Vous le rêvez, Zarathoustra le fait. « Avec les pieds chauds et les pensées chaudes, je cours vers le lieu où le vent s'arrête, vers le coin ensoleillé de mon mont des oliviers. »
Alors vous pensez, la compassion de ceux qui dans le confort de pièces chauffées ignorent le secret de tels cagnards et déplorent «on va le retrouver congelé dans les glaces de la connaissance», ça le fait bien rigoler. Degré zéro de l'hiver ? On est fou peut être mais on s'en fout : il fait soleil au pied de l'olivier, de l'arbre de Minerve.
« Dans le coin ensoleillé de mon mont des oliviers je chante et me moque de toute compassion. Ainsi chantait Zarathoustra.»