« Vrai, je vous ai pris bien cent mots et les jouets favoris de votre vertu ; et voilà vous me boudez, comme boudent les enfants. »
(Ainsi parlait Zarathoustra. Des vertueux)
Ainsi parlait Zarathoustra. Le titre, sa lancinante reprise en refrain, désignent bien le lieu des combats décisifs : la parole, le langage, le discours. C'est le côté lacanien de Zara. Il prend les mots au mot, il décode et démonte les signifiants. Il passe au crible, pèse, scrute chaque discours, pour y déceler mensonge, hypocrisie, faux semblant.
Il y a dans ces pages sur les vertueux l'ironie d'un grand enfant, d'un enfant qui pense grand : il n'est pas dupe des histoires que (se) racontent ces adultes infantiles qui, eux, ne peuvent penser que petit.
Regardons-le crayonner avec jubilation sa galerie de caricatures, dans la veine vachardo-spirituelle des grands moralistes. Regardons-le tirader à vue avec panache façon Cyrano sur les vertueux pour de semblant et leurs « on dirait qu'on serait ».
Besogneux : qui "avancent lourdement avec grands craquements de charrettes chargées de pierres : ils parlent beaucoup de dignité et vertu – le sabot qui leur sert de frein, c'est ça leur vertu."
Cyniques : "installés dans leur marécage, leur discours émerge des roseaux : 'La vertu – c'est une place tranquille dans le marécage'."
Frimeurs : "qui aiment les attitudes et qui pensent : 'la vertu est une sorte d'attitude'."
Plus d'un rabat-joie : "impuissant à voir du grand dans l'homme, nommant vertu le fait d'examiner à la loupe sa petitesse : ainsi appelle-t-il vertu son regard malveillant."
Répressifs :" qui parlent en vertueux disant 'La vertu est nécessaire' ; mais au fond ils ne croient qu'à la nécessité de la police."
Pervers jaloux : "quand ils disent 'je suis juste' on croit toujours entendre 'je suis vengé'." (Jeu de mots gerecht/gerächt)
Tiédasses mollassons : "qui nomment vertu la paresse de leurs vices."
Maso : "pour qui la vertu est le sursaut sous les coups de fouet : et pour moi vous avez bien trop écouté leurs cris."
Pavloviens conformistes : "pareils à des réveille-matin qu'on remonte : ils font tic-tac et veulent qu'on appelle vertu ce tic-tac." (Trop joli celui-là ...)
En voilà qui sont bien habillés pour l'hiver, il me semble.
Voilà, « ça c'est fait » : ainsi parlait Zarathoustra.