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Mal vu

Un beau jour chacun fait une offrande au dieu. Déjà il faudrait se demander pourquoi ils jugent bon ou se croient obligés de le faire, alors que rien dans le texte ne permet de conclure que le dieu en question ait demandé quoi que ce soit. Bon je fais ma naïve, mais on a bêtement la classique aliénation religieuse, la superstition dit Spinoza : offrande sacrificielle contre protection providentielle. Ici c'est du sacrificiel « modéré ». On ne zigouille ni enfant ni infidèle ni hérétique. On dira les petits jeunes n'ont encore sous la main rien de tout ça. Mais dès l'instant qu'on est dans cette logique, ça craint, non ? Bref le sacrificiel modéré on demande à voir.

Hélas on ne va que trop voir.

L'aliénation volontaire a pour implicite que le dieu de Caïn soit comme celui de Descartes, qu'il ne joue pas le malin génie trompeur. Or là est le hic. « Caïn et son offrande, il ne les considère pas. » Tandis que le frère Abel bénéficie, lui, du programme bétail contre considération.Pourquoi l'un et pas l'autre ? C'est à cause de ce pourquoi que tout va déraper. Il est clair que ce texte est écrit du point de vue de Caïn. Du point de vue de la fibre paranoïaque de l’être humain. Car la réaction saine aurait été de se dire : Dieu n’en a rien à faire de mes dons, OK basta et après moi le Déluge.

Hélas non. Le rejet de l'Autre fantasmé auquel Caïn s'est aliéné provoque en lui un radical effondrement subjectif (ses faces tombèrent dit le texte). Et voilà qu'en plus, Dieu lui demande l'impossible (Gen 4,7) :

Je traduis librement « Assumer ton sort par le bien, ou pas : dans ce choix la faute te guette. Elle veut te soumettre. Toi, gouverne-la. » Voilà ce que son dieu balance à Caïn, qui fait la gueule de façon pourtant si compréhensible : incroyable mais écrit !

 

Je suppose que des commentateurs (dans le Talmud par exemple où il y a une forte concentration de subtilité au cm2 de page) ont déjà remarqué que, dans l'hypothèse où ce dieu se soucierait d'accueillir ou repousser l'offrande des deux frères, alors sa phrase à Caïn est bien pourrie, bien perverse. Le pauvre déjà n'y comprend rien, se sent victime d'une injustice : Papa Dieu il m'aime pas, il préfère mon frère. Alors lui balancer qu'il n'a qu'à se débrouiller avec ça, faire ses preuves d'éthique quand lui, Dieu soi-même, est loin de briller par la sienne : y en a qui ont tourné athées militants pour moins que ça.

Tout change pourtant si on conçoit le dieu autrement que comme un potentat, voire si on cesse d'en concevoir un. (Vous savez quoi il me semble clair que c'est précisément ce que suggère ce texte). Caïn n'arrive pourtant pas à changer de logiciel, comme on dit en novlangue. Si bien qu'au lieu de résoudre le problème là où il se pose, dans l'opportunité ou pas d'une transcendance et de quel style, il convertit le ressentiment envers son grand Autre, pervers et fantasmé, en violence envers son petit autre réel, et qui n'y est pour rien, le frère Abel.

Et là, on est sacrément mal barré.

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