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Appelez-moi le gardien

Caïn, incapable de se libérer d'une attente envers l'Autre tel qu'il le fantasme, ou à défaut d'oser lui demander compte de l'injustice infligée, va donc aller en demander compte à l'autre. « Caïn dit à Abel son frère … Et c'est quand ils sont au champ, Caïn se lève contre Abel, son frère, et le tue. » (Gen 4,8)

Un verset qui, outre le sang du malheureux Abel, a fait couler pas mal d'encre exégétique. Les points de suspension notent un trou dans le texte, une part manquante. Trou voulu pour marquer l'impossibilité de la parole ? Partie de texte perdue au fil des transmissions ? (Mais alors pourquoi pile celle-ci ?)

Toujours est-il que cette absence fait percevoir un impossible, une impasse.

Caïn ne peut rien dire à son frère, il ne peut que passer à l'acte. Accomplir un acte de suppression en réponse au manque de considération. Non, comme il serait logique, sur l'auteur de l'injustice, mais sur celui qui est censé en être bénéficiaire. Et face à qui il ne peut trouver les mots pour dire sa souffrance, sa colère, sa jalousie.

La jalousie meurtrière de Caïn est symbole de toute la violence humaine. Elle est une tentative (logique et légitime) de réponse au sentiment d'invalidation de sa personne, son ego, mais qui se fait tragiquement à côté de la plaque : par l'élimination de l'alter ego. Si bien que dans ce mythe, le premier meurtre révèle son aspect ontologique. En même temps qu'Abel, c'est la fraternité humaine qui est assassinée. Et maintenant on fait quoi ? C'est ici que le texte devient génial et (malgré les apparences?) un des plus humanistes qui aient jamais été écrits.

 

« YHWH dit à Caïn 'Où est ton frère Abel ?' 'Je ne sais pas. Suis-je le gardien de mon frère, moi ?' 'Qu'as-tu fait ? La voix du sang de ton frère clame vers moi de la terre. Maintenant tu es honni (...)Tu seras sur la terre mouvant, errant.' Caïn dit à YHWH 'Mon tort est trop grand pour être porté. Voici, aujourd'hui tu m'as expulsé sur la face de la terre. Je me voilerai face à toi. Je serai mouvant, errant sur la terre : et c'est qui me trouvera me tuera.'

YHWH lui dit 'Ainsi tout tueur de Caïn subira sept fois vengeance.' YHWH met un signe à Caïn, pour que tous ceux qui le trouvent ne le frappent pas. »

Voici repoussée la solution humaine trop humaine de la vengeance indéfinie, de la spirale à l'origine de tant d'embrouilles qu'on ne connaît que trop.

Dieu prend en compte la peur de Caïn le meurtrier d'être victime potentielle. Il lui accorde donc, autrement, la reconnaissance cherchée depuis le début. Et Caïn se retrouve, paradoxalement, ironiquement presque, porteur d'un signe qui interdit à l'humanité la voie de l'autodestruction. Pour que tous ceux qui le trouvent ne le frappent pas. Alors Caïn est devant le choix réel, déterminant, le seul le vrai : non pas en quel dieu avoir foi, mais donner ou pas sa confiance à l'autre humain, avec lui faire alliance, au-delà de la peur, du ressentiment, de la violence.

Il est promu à un nouveau job : gardien de fraternité.

Voici Caïn prêt à lire quelques mots de Nietzsche sur la question du rapport à la transcendance. Et nous avec lui.

 

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