Le poète ayant chanté sa déception, Freud argumente sa conception.
« Deux motions psychiques différentes peuvent résulter, dit-il, de la plongée dans la caducité de toute beauté » (caducité Robert connaît mais dit c'est vieux et littéraire, devons-nous en déduire que tels sont les traducteurs?).
Motion 1 : « Douloureux dégoût du monde de ce jeune poète. »
Motion 2 : « Révolte contre la réalité affirmée des faits. Les splendeurs de la nature et de l'art, du monde extérieur et du monde de nos sensations », qu'un jour ça ne soit plus rien de rien ? C'est pas possible !
Motion de synthèse : Mais si c'est possible, p'tit gars, « ce qui est douloureux peut aussi être vrai ». (Belle phrase non ?). Et Freud d'entamer le dialogue avec le poète, espérant par le miracle de la maïeutique et de la synthétique réunies lui faire concevoir une vie plus rose.
« On connaît la fin du film, et c'est pas une happy end, tu dis ? D'accord, mais prends quand même ton ticket, cale-toi dans ton fauteuil et profite, sois bon public. Si tu lisais d'autres poètes que toi, par exemple Épicure » (ça il lui dit pas, c'est moi qui l'ajoute) « tu admettrais que dans la vraie vie, 'la limitation de la jouissance augmente le prix de celle-ci. S'il existe une fleur qui ne fleurit qu'une seule nuit, son efflorescence ne nous paraît pas moins magnifique' (et toc, moi aussi je suis poète. Oui je sais efflorescence ça craint, mais que veux-tu, mes traducteurs sont vieux et littéraires).»
Mais comme il est par ailleurs vaguement psychologue, Freud devine que la vraie vie n'est pas l'argument adéquat pour son jeune ami poète et dépressif, dont le souci profond est l'art. L'art en général, mais surtout la caducité ou pas de son œuvre à lui dans sa magnifique efflorescence. C'est ainsi le créateur est narcissique, il reste un enfant, d'où la crucialité pour lui de la question de l'effet mère vous suivez ? (je dis crucialité si je veux, après caducité tout est permis). Bref arrive l'argument ad poetam depressivum :
« A supposer que vienne un temps où les tableaux et les statues que nous admirons aujourd'hui se désagrègent, ou que vienne après nous une race d'hommes qui ne comprenne plus les œuvres de nos poètes (tu vois mon chou moi je t'ai compris) et de nos penseurs (suivez mon regard), voire une époque géologique dans laquelle tout ce qui vit sur terre soit sans voix, la valeur de toutes ces choses belles et parfaites est déterminée uniquement par sa signification pour notre vie sensible, elle n'a même pas besoin de durer plus que cette dernière et elle est de ce fait indépendante de la durée temporelle absolue. »
L'apocalypse selon Sigmund : un mixte de Fahrenheit 451 et de la fin des dinosaures, sans compter le troublant rapprochement que nous pouvons faire avec des barbaries actuelles. Apocalypse à laquelle il oppose un seul espoir de salut, qui n'est pas sans évoquer une certaine quête A la recherche du temps perdu. (A suivre)