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Périmés ?

« Je fouille dans mes manuscrits, dans les cadavres décomposés de ma prose. La date de péremption du sens est dépassée depuis longtemps. La chair de mes sentiments s'est décomposée. Tout ce que je disais s'est évanoui. Ne restent que les squelettes des phrases. Des cimetières de petits rongeurs. Pourtant, je continue à améliorer certains passages, à changer l'ordre des mots, à rejeter le superflu. La seule chose qui me console c'est que tout cela est grammaticalement correct. Il y a une beauté féroce dans le spectacle des cimetières bien ordonnés. »

 

Bon. On est d'accord. Pas folichon. Du moins à première vue, car un texte, lorsqu'on creuse, révèle, sous l'évidence qui s'impose au premier plan, un second, troisième plan, un arrière-fond, et parfois un hors champ tout aussi parlants voire davantage. Qui raconteront qui sait des choses inattendues. Euh … « lorsqu'on creuse » vu le texte, je ne sais pas si c'est habile ? Ça risque d'induire des images éprouvantes pour les âmes sensibles. Si je disais plutôt « lorsqu'on s'approche davantage » ? Oui c'est plus sympa, ça construit un climat de confiance, un peu d'affectif tout ça. On va donc s'approcher de ce texte impressionnant. Et même sans crainte, car en fait il ne mord ni ne tue, bien au contraire.

 

Mais d'abord que je vous présente l'auteur. Svetislav Basara, né en 1953 en Serbie. Honte à moi je l'ai découvert il y a quelques semaines seulement. Son écriture, cette précision maniaque assortie d'humour grinçant et absurde évoque irrésistiblement Kafka, à qui d'ailleurs il rend nombre d'allusifs hommages dans le bouquin que j'ai lu (z'allez pas me croire j'ai oublié le titre et comme je l'ai emprunté à une bibliothèque, je l'ai plus sous la main. J'avais juste noté ce passage prodigieux. Mais j'essaierai de retrouver promis. Il s'agit d'un recueil de nouvelles très brèves).

 

Poids des mots choc des images. Cadavres décomposés, squelettes, cimetières. A part zombie déambulant ou vampire rodant assoiffé de sang, on a tous les ingrédients du pitch de film d'épouvante. Ou du reportage sur un charnier découvert quelque part sur notre belle terre humaine où ça guerroie quotidiennement de si belle humeur ma foi.

Pourquoi un auteur parle-t-il ainsi de ses mots, de ses manuscrits ? Par goût de l'auto-flagellation, soumission à un vieux complexe d'infériorité, respect de la charte du Cercle des Poètes Saturniens Amis de Freud ? On a envie de lui dire : laisse tomber si t'en as marre, mais n'en dégoûte pas les autres.

 

Oui mais. « Pourtant je continue (…) à changer l'ordre des mots ».

Voilà. Là on tient un fil. (A suivre)

 

 

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