Deux est ce qui vient après un. Vous me direz jusqu'ici on y va mais bon ça nous avance pas tellement. Erreur. Ça paraît aller de soi, un petit pas dans le parcours qu'on peut faire à travers l'ensemble des entiers naturels (pour nous limiter à eux, qui nous sont familiers depuis nos premières bûchettes) mais pas "un grand pas pour l'humanité". Juste un petit pas semblable à celui que nous ferions de 2 à 3 puis de 3 à 4 et ainsi de suite à l'infini.
Quoique. L'infini c'est vite dit. L'infini n'existe qu'à l'infini, c'est à dire en pratique n'existe pas. Imaginons un être humain qui décide de consacrer le temps de sa vie à compter. Vous me direz j'en ai jamais rencontré. À quoi je répondrai qui sait peut être sans le savoir. Parmi tous les gens croisés avec qui vous n'avez pas échangé le moindre mot (et c'est la majorité forcément) peut être certains étaient-ils occupés à compter ?
Si vous aviez pu accéder à leurs pensées, leur discours intérieur, comme dans le film de Wim Wenders les anges prêtant l'oreille aux passants berlinois, peut être auriez-vous entendu
799455463210448, 799455463210449, 799455463210450 …
Bref si quelqu'un passait sa vie à compter, le chiffre atteint au moment de sa mort serait sa seule approche possible de l'infini, et se confondrait en pratique avec un chiffre grand peut être, mais fini. Tout comme lui.
Pour en revenir au pas de un à deux, c'est un pas qui a l'air semblable aux autres. Mais non. En réalité dans la numéritude deux pas sont décisifs, carrément d'une autre essence que les autres. Le passage de 0 à 1, et celui de 1 à 2. Le passage de 0 à 1 on en a déjà causé, notre société numérique ne nous laisse aucun doute là-dessus. Zéro/un, ne pas être/être : une question résolue d'un clic.
Quant au passage de 1 à 2, il brise la clôture d'une totalité auto-suffisante et intemporelle, fait entrer dans l'histoire et la pluralité. Comme il y a un pas de vis, il y a le pas de la vie, et c'est celui de 1 à 2.
La vie, non seulement dans son acception biologique, genre passage de 1 à 2 par duplication cellulaire. Mais surtout dans son acception psychologique, sociologique, politique. Deux fait sortir du totalitarisme du un. Deux amène à la rencontre de l'altérité et de la dualité. La porte d'entrée dans la complexité des relations humaines. Deux est un chiffre ambigu.
L'ambiguïté d'après l'étymologie est le fait que deux choses plutôt contradictoires soient présentes en même temps au même lieu. Donc c'est clair sans me vanter on a tous en nous quelque chose de deux. Une dualité qui est duo, duel, ou les deux.
Duo. Bienheureuse dyade mère-enfant des premiers mois de la vie du petit humain.
Duel. Antagonisme, affrontement en miroir avec l'autre semblable, qui peut nous gêner parce qu'il est trop proche ou bien trop loin, parce qu'il est trop même ou bien trop autre. Rivalité chevillée à l'humanité, syndrome perdurant depuis la nuit des temps, mythe biblique de Caïn et Abel.
- Oui mais 2, moi je trouve que ça ressemble au cygne élégant qui nage sur le lac
- T'as raison ma petite Terpsichore, autant le voir comme ça.
À chaque problème éthique sa solution esthétique.