Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

"Mais cela nous l'avons réfuté"

 

« Le vulgaire, par puissance de Dieu, entend la libre volonté de Dieu et son droit sur tout ce qui est, qui par là se trouve communément considéré comme contingent. Car Dieu a le pouvoir de tout détruire, dit-on, et de tout renvoyer au néant.

En outre, on compare très souvent la puissance de Dieu à la puissance des Rois, mais cela nous l'avons réfuté (…) nous avons montré que la puissance de Dieu n'est rien d'autre que l'essence agissante de Dieu.

Cette puissance dont le vulgaire affuble Dieu, non seulement est humaine (ce qui montre que le vulgaire conçoit Dieu comme un homme, ou à l'instar d'un homme), mais aussi enveloppe impuissance. » (Éthique II scolie prop 3).

Les scolies sont souvent les passages les plus clairs et nets de l'Éthique, les plus drôles aussi. Là où Spinoza ne nous l'envoie pas dire, sur un petit ton ironique et agacé. Vous devez comprendre, c'est évident vous avez suivi le raisonnement non ? Mais bon au cas où, je vais quand même mettre les points sur les i. Et s'il se retient d'ajouter bande de nazes, c'est qu'il est assez honnête pour s'appliquer à lui-même son conseil de fuir les affects négatifs.

Spontanément donc le sens commun (ainsi faut-il en fait entendre le vulgaire) ne sait concevoir la puissance que comme prise de pouvoir, en particulier de l'homme sur l'homme (qui par là se trouve considéré comme contingent), comme aliénation et exploitation, jusqu'à la destruction éventuellement.

Eh bien dit Spinoza, cela signe l'incapacité de faire corps avec la véritable puissance, la seule qui vaille, qu'il nomme l'essence agissante de Dieu. La puissance-même dit-il, pour dire il n'en est pas d'autre. Disons l'énergie potentielle et actuelle de la vie, toute-la-vie-rien-que-la-vie. (Spinoza s'inscrit radicalement en faux contre l'illusion d'une transcendance).

Les autres choses dites puissances sont contrefaçons, fantasmes, fétiches. On aura beau les affubler de tous les déguisements, on aura beau faire en leur nom quantité de victimes, on ne pourra empêcher qu'elles « enveloppent impuissance. »

« Dieu a le pouvoir de tout détruire, dit-on » : génie spinoziste de la lucidité. Dévoilement comme en passant du point nodal de l'aveuglement humain : la projection de notre pulsion de mort dans le concept de divin.

La violence, qui est summum de l'impuissance humaine, car elle est défaite de la vie, se trouve, par une scandaleuse absurdité, sacralisée, absolutisée.

Et alors, à partir d'elle et de « Lui », toute méchanceté devient autorisée et même prescriptible, sous le prétexte mensonger de la supprimer (que le mensonge soit conscient ou pas, quels que soient ses alibis politico-mafieux).

Car le mot fameux de Voltaire « Tu nous as faits à ton image mais nous te l'avons bien rendu », déjà décapant de lucidité, doit encore se compléter d'une formulation symétrique qui révèle la partie complémentaire de la vérité, sa face cachée :

« Nous t'avons fait à l'image de l'inhumain en nous, pour nous justifier de l'incapacité à nous faire humains ».

 

Commentaires

  • Merci pour ce texte.

  • Spinoza est très éclairant pour moi, comme Montaigne. Ce sont des gens qui ont vécu dans des moments historiques très tendus, et qui ont su garder toute leur énergie de penser, et de penser rationnellement, tout leur désir d'humanité.
    Des lumières à partager.

Les commentaires sont fermés.