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  • "A la réflexion"

     

    Résolution n°2 : Ne lire que de bons livres.

    « Il n'est pas bon d'avoir plusieurs maîtres ; n'en ayons qu'un seul ; qu'un seul soit le maître, qu'un seul soit le roi.»

    Voilà ce que déclara Ulysse en public selon Homère. (…) Il faut peut être excuser Ulysse d'avoir tenu ce langage, qui lui servait alors pour apaiser la révolte de l'armée : je crois qu'il adaptait plutôt son discours aux circonstances qu'à la vérité.

    Mais à la réflexion, c'est un malheur extrême que d'être assujetti à un maître dont on ne peut jamais être assuré de la bonté, et qui a toujours le pouvoir d'être méchant quand il le voudra. Quant à obéir à plusieurs maîtres, c'est être autant de fois extrêmement malheureux. »

    Ainsi commence le Discours de la servitude volontaire (1576). Étienne de la Boétie, le fameux « lui » de parce que c'était lui parce que c'était moi, crée avec ce livre, qui comporte pourtant nettement moins de pages que les Essais, une œuvre tout aussi majeure.

    (Naître entre Sarlat et Bergerac vers 1530 c'était apparemment the place to be pour devenir un génie. De bonnes ondes dans l'air ?)

    Ces premières phrases posent d'emblée la radicalité du propos. Ce n'est pas tel ou tel mode de pouvoir qui est contesté, mais le fait-même du pouvoir.

    Il explique juste après qu'il ne va pas faire du Montesquieu avant la lettre, ni « débattre ici la question tant de fois agitée à savoir si d'autres sortes de républiques sont meilleures que la monarchie ». République étant à comprendre au sens large comme mode de gestion de la chose commune.

    Il ne pose pas la question mais ne se gêne pas pour signaler comme entre parenthèses qu'il ne voit pas ce qu'il peut y avoir de public dans la monarchie « ce gouvernement où tout est à un seul. » Un rebelle décidément, ce Labo.

    Ce début signale aussi qu'il en connaît un bout sur la realpolitik, adapter plutôt son discours aux circonstances qu'à la vérité. Mais il ne compte pas refaire avec son livre l'analyse fort bien produite un demi-siècle auparavant par Machiavel avec son Prince.

    Parce que lui-même est un homme absolument libre, le propos de La Boétie sur la liberté ignore superbement la casuistique. Il vise la valeur de liberté en son essence. Et comme en véritable philosophe il est étranger à l'alibi du blabla abstrait, il affirme d'emblée que l'essence de la liberté est tout ce qu'il y a de concret.

    En rapport nécessaire (et si possible suffisant) à l'éthique et à la politique, c'est à dire à la complexité des relations dans la vraie vie. La question de la liberté commence, comme beaucoup de choses, au chiffre 2. On n'est pas libre tout seul. Tout seul on n'est que sans lien.

    Mais tout l'enjeu du Discours est de dissocier le lien et l'assujettissement, la construction d'une structure sociale et la soumission, bref de faire valoir la parfaite réciprocité logique entre liberté et égalité.

    C'était il y a 440 ans. Rajeunissant, non ?

     

  • Résolument

     

    Noël en décembre : bientôt le début d'année. C'est pas tout ça mais faudrait envisager nos bonnes résolutions.

    Résolution n°1 « Primum non nocere ».

    C'était dit-on la devise d'Hippocrate. Humour ? Excuse souriante à l'inévitable impuissance qui est parfois le lot de la médecine ? Certainement.

    Mais aussi rude sagesse. C'est loin d'être facile de ne pas nuire. Nombreuses sont les occasions de nuisances à notre portée, qu'elles soient volontaires ou involontaires. Alors se préoccuper d'abord, en premier lieu et avant tout, de ne pas nuire, c'est non seulement prendre les choses par le bon bout de la raison (dirait Rouletabille), donc la lucidité et le pragmatisme, mais aussi prendre par la même occasion son courage à deux mains.

    Bien faire, voire faire du bien : fréquent projet, en tous cas fréquemment annoncé. De bonne ou de mauvaise foi ? Question déterminante. Mais soit : pour la commodité du raisonnement, supposons (y compris en soi) un sincère désir de bien faire. Sa sincérité ne réduit cependant pas la difficulté de sa réalisation.

    Or pour résoudre une difficulté, le plus simple est de s'y prendre comme avec une équation, en écrivant des équivalences successives. On s'aperçoit alors que la phrase d'Hippocrate n'est pas une restriction, mais juste une reformulation. Bien faire = ne pas mal faire. (CQFD)

    Oui mais comment ?

    La formulation négative d'Hippocrate montre un chemin proche (toutes choses égales par ailleurs) du principe de lutte non violente que Gandhi a appelé la non coopération. Il s'agira de réduire à chaque occasion, dans toute la mesure possible (en occupant toute l'étendue du possible qui se présente), sa production de nocivité.

    Du coup, primum non nocere ne peut pas être interprété comme une pirouette ou un alibi. Au contraire c'est un programme qui demande résolution sans faille, constant courage.

    C'est une révolution à entreprendre, une résistance à tenir, contre la facilité de petits (ou gros) arrangements avec l'injustice (les nôtres et ceux d'autrui), contre le mensonge (fût-ce par omission), contre la politique de l'autruche.

    En outre primum non nocere vaccine contre le virus du « mieux » qui est on le sait l'ennemi du bien. Par exemple en suggérant de réduire ses exigences envers autrui. Déjà pas si mal lorsque des autres on reçoit de la non-nuisance. De cela on peut toujours leur savoir gré, sans attendre davantage.

    Le précepte est aussi à usage personnel : cesser de se mener la vie dure en exigeant trop de soi. Tu n'arrives pas à faire aussi bien que tu voudrais ? Fais déjà aussi moins-mal que tu peux.

    Ou pour le dire avec notre ami des Essais « En un temps où le méchamment faire est si commun, de ne faire qu'inutilement il est comme louable. » (Essais III, 8 De la vanité)

     

    Primum non nocere. D'abord passer par là pour arriver un jour qui sait à l'étape seconde, à un « secundum bene facere » ?

     

     

     

  • Changer la vie

     

    Sans me vanter les révolutionnaires de 1789 ont eu plein de bonnes idées.

    En particulier ça va sans dire mais mieux en le disant et encore mieux en le faisant liberté égalité fraternité. Ils l'ont fait au moins sur le papier, disons ils l'ont fait jusqu'à un certain point. Déjà bien beau qu'à ce point-là ils soient arrivés, à la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen par exemple.

    Quant à l'idée de changer le calendrier, ce n'est pas la moins intéressante qui leur ait traversé l'esprit. Décidons qu'ici et maintenant commence l'an I d'une ère nouvelle, ça a un certain panache. D'autant plus beau peut être que ce fut inutile, en tous cas ça n'a pas pris.

    On voit la motivation politico-anthropologique bien intentionnée. Arracher le temps, et itou les hommes qui y vivent leur vie, à la domination symbolique du religieux et à ses aliénations.

    Désacraliser la segmentation des unités temporelles. Exemple décade contre semaine référant aux sept jours de la création. Expulsion des noms de dieux, fussent-ils romains (a fortiori celui du ci-devant Seigneur absolu du monothéisme) : à bas vendredi ou dimanche, vivent octidi ou décadi !

    On peut être sceptique sur le bien fondé de cette table rase culturelle, la taxer de psycho-rigidité, voire de tendance crypto-phobique. N'empêche sa naïveté me séduit. La naïveté de la foi dans le pouvoir performatif des mots, dans le pouvoir structurant de la forme sur le fond.

    Ce qui s'explique : nombre de révolutionnaires étaient hommes de loi, magistrats, avocats.

    Joli moment tout de même quand les mois furent gratifiés de noms poétiques par Monsieur Fabre dit d'Églantine. (Entre nous je me suis laissé dire que le mec aurait eu du mal à être surnommé l'Incorruptible. Phobie administrative peut être ?)

    Mais ne boudons pas pour autant son splendide Messidor. Qui en plus fait entendre un sacré sous-texte à une oreille post-lacanienne (style Messie dort ? Parfait ne le réveillons pas). Je sais bien qu'à l'époque ils s'en tenaient à leur latin, et donc à l'évocation des moissons (quoique ?)

    Admirons sans réserve l'à jamais zolesque Germinal. OK Nivôse ou Ventôse déjà ça le fait moins, évoquant le niveau de neige dans le caniveau, ou les ventouses pour soigner l'angine parce qu'on est sorti sans se protéger le cou (précaution assez utile au demeurant en tous mois de l'année 93).

    L'hiver c'est pas vraiment vendeur : froid pluie gris vent = dilemme gelage ou emmitouflage. Je reconnais que ce n'est pas le cas en ce moment mais faut se méfier. Si on votait l'abolition définitive de la royauté hivernale perso je mettrais pas mon veto. Mais je le dis pas trop fort rapport à la COP21.

    Au fait maintenant que sont réglées les histoires de degrés et tout, je suggère un addendum à l'accord : renommons les saisons, à défaut de les révolutionner.

    Article1 : le ci-devant Printemps est désormais dénommé Carnavalbalfestival, le ci-devant Été Bronzédor, le ci-devant Automne Cébonçalelactaire ?, et le ci-devant Hiver Grippôse.

    Salut et fraternité.