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  • Et inversement

     

    « Que philosopher c'est apprendre à mourir » titre le chapitre 20 du livre I des Essais. La forme latinisante, toute spontanée qu'elle soit sous la plume de Montaigne, lui donne pour nous lecteurs modernes une solennité compassée.

    Pourtant ici comme ailleurs, Montaigne, tout en développant des propos aussi convenus que stoïco-compatibles, ne laisse de répondre au rictus de la Camarde par un sourire, de déjouer l'angoisse par le charme de l'ironie.

    Et de fait ce titre incite diablement au jeu du détournement.

    Que philosopher c'est apprendre à mourir.

    Que mourir c'est cesser de philosopher. Mais que cesser de philosopher n'est pas le pire désagrément de la mort. Si on y réfléchit.

     

    Que philosopher c'est apprendre à mourir.

    Que mourir ça nous apprendra à essayer de philosopher. Tout ça pour ça. On aurait mieux fait de faire un truc utile à l'humanité je sais pas moi genre trader.

     

    Que philosopher c'est apprendre à mourir.

    Que philosopher c'est entreprendre de sourire avant que de pourrir. Avec Desproges entre autres. Sourire avec Desproges je veux dire, pas pourrir. Quoique. Que philosopher c'est accepter de pourrir pourvu qu'on ait souri.

     

    Que philosopher c'est apprendre à mourir.

    Qu'apprendre l'humour c'est pas pour les ripoux ni pour les faux fols.

     

    Que philosopher c'est apprendre à mourir.

    Que rire des sots c'est comme prendre de la poudre. En plus euphorisant. Quoique tout aussi addictif. Enfin j'imagine. Je dis j'imagine parce que sinon vous allez vous imaginer des choses.

     

    Que philosopher c'est apprendre à mourir.

    Qu'apostropher les mous du genou c'est facile quand on peut courir.

     

    Que philosopher c'est apprendre à mourir.

    Que fesser Sophie n'est pas lui apprendre à vivre. « Émile ça lui donne le fou-rire, mais c'est pas ma faute. » Rousseau confessons-le fut philosophe certes mais un martinet paranoïaque. Euh un tantinet. Pourquoi mais ?

     

    Que philosopher c'est apprendre à mourir.

    Que filer la métaphore et affoler les mots sens dessus dessous, ça fait Belle Marquise d'amour mourir (sans dessous du tout ?)

     

    Que philosopher c'est apprendre à mourir.

    Que jouer au bridge c'est parfois faire le mort pour tuer le temps.

     

    Que philosopher c'est apprendre à mourir.

    Que philosopher c'est trouver sa récompense mort ou vif.

    Disons vif ?

     

  • Imagine

    « L'heure des parlements dangereuse » est le titre du chapitre suivant. Voilà un enchaînement joliment noué, plus raccord que ça tu meurs. Ça fait un peu penser à la comptine marabout, bout de ficelle, selle de cheval ...

    C'est un titre par ailleurs indiscutable. Clair que le moment où on se lance à parlementer avec l'ennemi est dangereux, c'est un plongeon au moins dans l'inconnu, souvent dans une bonne mélasse, un machin qu'on va mettre un temps fou à s'en dépêtrer.

    Et au pire l'heure du parlement annonce la perspective d'un sale quart d'heure pas vraiment warholien. Surtout si l'ennemi est du type 2 selon le classement établi la dernière fois. Or c'est un type assez répandu soyons lucides.

    Le principe de l'ennemi fair-play, style « Messieurs les Anglais tirez les premiers », il est à craindre qu'il ait fait long feu. L'ennemi de nos jours, quel qu'il soit, est clairement sans foi ni loi.

    S'il avance l'une et/ou l'autre au principe de sa lutte, et consécutivement de la négociation, de deux choses l'une. Ou bien il vous ment ou bien il se ment à lui-même.

    Dans le premier cas c'est un méchant qui vous prend pour un con. Dans le second cas c'est un con (peut être inconsciemment, mais le résultat est le même).

    Savoir faire la différence est certes une satisfaction intellectuelle, mais cela ne change pas grand chose à la difficulté & dangerosité de la négociation.

    Mon conseil plus pour vous y préparer : en posture du lotus, adoptez une respiration calme et régulière, visualisez l'ennemi en vis en vis de l'autre côté de la table des négociations, et revêtez-le mentalement d'un collier de fleurs, dessinant au-dessus de sa tête une bulle contenant les mots « Peace and love ».

    Comme ça quand vous le retrouverez à l'heure des parlements dangereuse, vous serez pris d'un fou-rire. Cela ne peut manquer de le déstabiliser, car lui ne sait pas rire (ou s'il l'a su il l'a oublié).

    Cela dit il ne faut pas oublier de votre côté qu'il y a une chose plus dangereuse que de parlementer et négocier, c'est de ne faire ni l'un ni l'autre. Ou pour le dire autrement vaut tout de même mieux écouter parler les cons ou les méchants que les armes.

    Naturellement le meilleur cas de figure est encore quand les unes comme les autres gardent pareillement le silence.

     

     

     

  • Question piège

     

    « Si le chef d'une place assiégée doit sortir pour parlementer »

    (titre de Essais I,5)

    1) Il serait exagéré de dire que j'ai une opinion arrêtée sur la question. Ça tombe bien qu'on ne me l'ait pas posée jusqu'à présent. Mais puisque m'y voici réduite, je ne me déroberai pas à l'affronter.

    2) Une chose est sûre, j'aimerais pas trop être à la place du chef d'une place assiégée.

    3) Et pas plus à n'importe quelle autre place dans la place assiégée, en fait. Vu que déjà le chef a pas beaucoup de marge de manœuvre, c'est pas difficile de deviner que les pas-chefs ont une marge carrément nulle.

    4) Finalement OK je vais me mettre à la place du chef pour envisager la situation.

    Donc je viens de recevoir un pigeon voyageur avec un message :

    Sors de ta place et viens parlementer si t'es un homme.

    Bon : négliger de monter sur mes grands chevaux en faisant remarquer à ces bourrins d'ennemis ce que leur texte a de machiste, comme si le courage était une qualité virile. Résister à l'envie d'ironiser sur leur manque d'imagination paritaire induisant leur impossibilité de penser l'identité « chef d'une place assiégée » = « femme ».

    Contentons-nous d'analyser sereinement la situation. Deux cas :

    1) L'ennemi veut vraiment parlementer.

    2) L'ennemi feint perversement de vouloir parlementer pour m'attirer dehors, me faire prisonnière et/ou me zigouiller, et ainsi déstabiliser mes co-assiégés et néanmoins subordonnés, et ainsi gagner vite fait bien fait la bataille ou la guerre ou quoi que ce soit.

    Remarquons que dans le cas 2, l'ennemi en plus d'être un ennemi et un macho est donc un vrai pourri. Il a l'intention de tous nous zigouiller et me fait sortir, moi Chef, pour éviter que je galvanise de mes charisme & courage mes co-assiégés. Charisme & courage qui les inciteraient à la résistance et rendraient plus difficile l'exécution du projet ennemi qui est la nôtre, d'exécution.

    Avec un ennemi pareil on n'a rien à perdre, je sortirai donc pour lui faire croire que je le crois quand il feint de vouloir parlementer. On sait jamais avec des calculateurs au nième degré, l'absence de calcul peut être payante.

    Et puis ce sera toujours du temps gagné on sait jamais la cavalerie arrivera peut être entre temps. Ou bien mes co-assiégés trouveront un truc pour s'en sortir du temps que l'ennemi essaie de comprendre pourquoi je suis venue me jeter dans sa gueule de loup.

    Et dans le cas 1 il est évident qu'il faut sortir et parlementer.

    La réponse est donc clairement : oui. Le chef d'une place assiégée doit sortir pour parlementer.

    Entre nous j'aurais pas cru arriver si vite à une réponse si convaincante.

    Comme quoi tout ça n'est pas si compliqué ...