Dieu m'apostrophe, les titres sont des choses merveilleuses. Sacs à malice, catalyseurs de connotations, embrayeurs de raisonnement logique (ou pas), incitateurs aux jeux de mots.
Mon plus grand plaisir, lors de flâneries en bibliothèque ou librairie, est de me laisser effleurer par les titres, leurs lettres virevoltant sur les présentoirs telles des colonies de papillons.
Il est rare que j'aille plus loin dans mon propre papillonnage, pas même jusqu'à la 4° de couverture. Un bon titre suffit à produire l'effet énergétique si bien exprimé par la réflexion (de qui au fait ?) devant un tableau (de qui au fait ?) : « Et moi aussi je suis peintre ».
Et lorsque moi aussi je passe à l'acte d'écrire ou ce qui s'en approche, rien ne me réjouit tant que de trouver « mon » titre, dans un certain type de rapport à l'écrit qu'il désigne (un rapport que je ne sais définir, je le sens c'est tout).
Cela fait, je me dis souvent que le reste n'a aucune importance, le titre suffit, le texte a quelque chose de superflu. (Comment ça vous êtes d'accord ?)
Il y a, miraculeusement, des livres qui tout entiers, en chaque page et phrase, détiennent ce pouvoir créateur du titre. Ce sont les plus grands, les made in 100% pur génie. Ainsi les Essais.
Montaigne* a su laisser en tout lieu de son livre, pourtant si personnel et d'une écriture si achevée, quelque chose que je ne sais mieux nommer qu'un principe d'ouverture. Il y a toujours un passage possible vers autre chose, et vers autrement.
Il le dit souvent. La formulation qui me parle le plus est celle-ci :
« Il s'en trouvera toujours en quelque coin quelque mot qui ne laisse pas d'être battant, quoiqu'il soit serré (= bien rangé) » (Essais III, 8 De l'art de conférer)
Battant, comme une porte mal fermée que le courant d'air ne cesse de faire aller et venir. Comme les ailes du papillon dans sa danse.
Cette formulation fondamentale, le cœur du cœur de la magie des Essais, est amenée par une petite remarque sur devinez quoi ses titres.
« Les noms de mes chapitres n'en embrassent pas toujours la matière ; souvent ils la dénotent seulement par quelque marque (…) j'aime l'allure poétique, à sauts et à gambades. »
Oui, ça gambade et ça sautille : d'une phrase à l'autre, dans l'écart entre les propos d'un chapitre et son titre. Et aussi d'un titre à l'autre.
Le premier titre du premier livre « Par divers moyens on arrive à pareille fin » trouve très vite un écho (ou nommons plutôt cette symétrie inversée un reflet, une réplique en chiasme) dans le titre 24 « Divers événements (= résultats de l'action) de même conseil (= réflexion)».
Avec ce couple de propositions en chassé-croisé, le paradoxe ouvre le livre comme on ouvre un bal.
C'est que, tout comme Nietzsche* qui lui en saura gré, Montaigne pratique une philosophie « qui s'entend à danser. »
* Encore eux ? Ben oui j'y peux rien à l'admiration comme à l'admiration.