Le sifflement aigu de la bouilloire fait dresser les oreilles du chat. Mais il dédaigne d'ouvrir les yeux. Ce n’est que l’heure du thé.
Elle s’est levée, est allée à la cuisine. Elle considère les petits paquets contenant les feuilles aux différents parfums. Sa main hésite. Celui-ci dont il ne reste que deux pincées. « Et puis ce sera fini », murmure-t-elle en froissant le papier.
Elle saisit le stylo accroché au pense-bête : "Earl Grey" … Mais le stylo retombe et se balance un instant.
Elle verse le thé bouillant dans la tasse de porcelaine anglaise, décorée de motifs aux tons vieux rose, avec, en écriture dorée, le mot October. Son mois de naissance.
Depuis quelque temps elle ne fête plus ses anniversaires. Cela reste pourtant au calendrier un jour un peu différent, elle attend sans savoir quoi. Une visite ? Elle n'a invité personne.
Elle n’a jamais su faire d’invitations.
Le contact de ses mains sur la porcelaine brûlante, la plongée du regard dans l'ambre du liquide, réveillent en elle l'émoi de jouissances anciennes, assourdies, leur écho vieux rose.
Des mots reviennent. Pas si vieux, mais si loin, étouffés sous les épaisseurs ouatées de la mémoire, comme sous le gros pansement qui protège une brûlure. Une incantation oubliée : philtre superflu. Les mots de Tristan. Tristan …
Il aimait comme elle le thé. Elle préparait leurs deux tasses sur un plateau, veillant à lui faire goûter chaque fois un mélange nouveau, comme une amoureuse qui voudrait être redécouverte chaque jour.
Il disait, après une première gorgée : « Mon Iseult au philtre superflu ». Et la grâce confondante de son sourire. Où était-il, Tristan, aujourd’hui, par cet après-midi pluvieux ? A qui souriait-il ?
Aimait-il toujours autant le thé ?
« Il est des avenirs qu’il faut savoir répudier avant leurs infidélités », lui avait-elle jeté, un soir, à froid. Il en était resté abasourdi.
Elle n’avait pas répondu à ses lettres, qui l’émouvaient pourtant étrangement, de longs feulements de fauve qui cherche à lécher ses blessures.
D’où avait donc surgi cette évidence absurde qu’il ne fallait pas laisser durer leur liaison, que le temps leur était ennemi ? Elle ne sait plus.
Elle se surprend à essayer de retrouver sur ses lèvres la chaleur tremblée des lèvres de Tristan après la première gorgée de thé …
C'était absurde ? Quelle importance, un peu plus tôt un peu plus tard ?
Non ce n’est pas à cause de Tristan. Ce n’est à cause de rien.
À suivre.