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L'heure du thé (2/4)

 

Elle a versé tout le tube d’un coup, le liquide se trouble tandis qu’elle tourne la petite cuillère. Il est devenu presque opaque.

Elle se souvient de ces précipités fadasses, résultats systématiquement décevants des manipulations en chimie. Sa blouse blanche lui donnait pourtant un air très scientifique. Fadasses mais dangereux.

« Toujours le tube à essais vers le mur », disait le prof, et il avait ajouté, une fois, à l’adresse d’un garçon avec lequel elle faisait binôme : « Si vous défigurez une jeune fille, vous êtes obligé de l’épouser ».

A l’époque déjà cette phrase lui avait paru, plus qu'une goujaterie, une stupidité. Déjà elle savait qu’il y avait peu de choses qui ne se défigurent. Mais il ne fallait pas pour autant hésiter à fuir la laideur.

Elle avait essayé.

Tous les comprimés sont fondus maintenant. Elle considère l’ambre trouble. Cela va avoir un goût affreusement amer. Oui, elle boira jusqu’à la dernière goutte.

Mais l’amertume ce n’est pas la peine. Elle va se faire une tartine de miel pour que ça passe mieux.

 

« Du beau miel pour ma petite belle ». Au fond de la tasse, flou, le visage de sa grand mère, préparant son goûter …

Dans la grande cuisine, on croisait les volets pour échapper au soleil de juillet. C’étaient les grandes vacances. La maison était pleine, oncles, tantes, cousins. Après la longue sieste, on se retrouvait sur la terrasse aux platanes vers six heures pour le thé - à la menthe souvent en ces saisons-là.

Sans images, dans sa sensualité encore dormante de petite fille, elle captait comme la rémanence des enlacements moites des corps. A quelque indice imperceptible, un regard, un sourire, un frôlement de main …

Pour elle, on avait dressé un lit de camp à côté de la grosse pendule du couloir. Elle se laissait bercer par le va-et-vient hypnotique du balancier. Et dans la pénombre fraîche odorante de basilic, elle avait su qu'il battait aussi, le cœur du temps. 

Ce même été, attirée par la pochette du disque - un dragon, un homme-oiseau, une reine très belle mais l'air méchant - elle avait entendu pour la première fois le chant de trois enfants. Quelqu'un avait su retrouver le rythme du cœur battant du temps !

A la rentrée suivante, au pensionnat, la sœur expliqua qu’au ciel on retrouverait les gens qu’on aime.

Ce fut une évidence : « Moi, au ciel, je connaîtrai Mozart. »

 

Elle prend une inspiration et saisit la tasse à deux mains.

 

À suivre.

 

 

 

 

 

 

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