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La journée des talents (3/8)

 

Au moment de partir pour la salle polyvalente, Hélène avait constaté en 4°C l’absence d’Augustin Duras. Martin, le CPE, était arrivé immédiatement : « Il était là à huit heures. Allez, je vais appeler les parents, une fois de plus ! Faut toujours qu’il foute la merde, ce con-là ! »

Piolet n’avait pas pour habitude de mâcher ses mots. Son crâne rasé de légionnaire et ses gros bras de culturiste lui avaient valu auprès des élèves le surnom de Mr. Propre. Il était exact que l’élève envoyé dans son bureau pour un quelconque problème en ressortait correctement lessivé.

Augustin Duras était un habitué de ces explications de texte serrées. Tenant du titre en jours d’exclusion, recordman en heures de colle. Compte-tenu des avertissements et autres signalements à son actif, il était bien placé cette année encore pour remporter le grand chelem des sanctions en tous genres.

Hélène naviguait à vue avec lui, incarnant successivement toutes les Figures du Pédagogue : Sévère mais Juste, Psychologue et Sécurisante, Dynamique donc Remotivante.

À certains moments d’hiver, de grippe en couvaison et d'insomnies récurrentes, il n’était plus resté dans son arsenal que C’est Comme Ça C’est Moi Qui Décide. Attitude de très loin la plus efficace.

À l’issue d’un bon savon pour un nième devoir non rendu (Tu iras le faire en colle, je veux une présentation parfaite et pas une faute d’orthographe, c’est clair ?) Augustin s’était pointé à la fin du cours « Madame, je voudrais jouer une scène avec François à la journée des talents. »

Mixte de Sévère mais Juste et de Dynamique donc Remotivante « Eh bien écoute ça dépend de toi. Si tu sais le rôle, disons pour jeudi, je veux bien qu’on essaie. »

A vrai dire c'était surtout Je Risque Pas Grand Chose Avant Qu’Il Bosse Assez Pour Savoir Son Texte D’ici Jeudi. Le jeudi Augustin savait le rôle.

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« Pour une fois rien, il a rien fait. Il est mort. Vous prévenez discrètement Mme Kerdon et M. Bernard pendant qu’on rassemble les gamins. »

Pour le trajet de retour vers le collège, ce ne sont plus les profs ou les surveillants qui guident les élèves. Il y a une présence, étrangère mais intime, drapée dans ses voiles noirs. Elle a pris la tête du groupe et désormais le mènera à sa guise.

Si ignorants qu’ils soient de la tragédie grecque ou des alexandrins de Racine, les élèves, à l’annonce de « l’accident », ont compris. Et, derrière le troupeau que guide la chose aux voiles noirs, Justin de Cournonterral avance, son sourire d’ange aux lèvres.

Hélène voit des larmes dans les yeux de François, le meilleur copain d’Augustin. La plupart des élèves se taisent, sous l’accablante impassibilité du soleil. Ils sont quelques-uns, cependant, à ne pas cesser leur moulinage verbal, avec sur le visage soudain un air de veule gourmandise.

Celle qui fait saliver les médiocres au passage du destin, du malheur, de la mort. Au passage à distance suffisante, bien sûr. Ainsi ils s’en délecteront sans risque, en voyeurs se dispensant d’exister.

Depuis quelque temps, Hélène a perdu toute vergogne à s’avouer qu’une bonne pensée de bon mépris la revigore, comme un antidote. Depuis quelque temps elle se dit souvent qu’il y a trop de meurtres en retard dans sa vie. Faudrait un jour se mettre à jour.

Elle a un regard pour Justin qui marche à côté d’elle. C’était pas si mal dit tout à l’heure Un jour pour cérémonie aztèque ...

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Tragique récré au collège.

Le collège du charmant village de Dormez, dont nous déplorions récemment dans nos colonnes les trop rares retombées médiatiques malgré l’activité de son Comité des Fêtes, se voit aujourd’hui à l’avant-scène de l'actualité régionale, théâtre d’un drame inqualifiable. Le commandant Gaëtan Bondil, venu de Digne, bien connu dans le département, a révélé à notre rédaction qu'il n'excluait pour l'instant aucune hypothèse. Néanmoins la probabilité d’un accident est peu probable. Certains indices ne devant pas être dévoilés pour les besoins de l’enquête confirmeraient la piste du suicide, voire du meurtre. Selon une source autorisée la nature pédophile du forfait serait établie en ce qui concerne Monsieur P., professeur au collège. « Mais l’éthique et le respect de la présomption d’innocence veulent que je m’abstienne d’en dire plus », a-t-il ajouté. « Laissons la police faire son travail. »

 

À suivre.

 

 

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