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La journée des talents (5/8)

 

Gaëtan Bondil est fatigué, repris par une nausée qu’il connaît bien.

Depuis la divulgation par La Durance et FR3 de la mort de ce collégien, il a une liste interminable de candidats à la déposition.

Il connaît la partition que chacun va jouer. Dissimulation, "innocent" mensonge, naïveté surjouée, mythomanie, manipulation. Soi-disant témoins : grégaires, charognards, corbeaux potentiels enfin autorisés à se déclarer, pour la bonne cause.

Il faudra pourtant bien les entendre, les dépositions, les recueillir, les aveux.

Mais de toutes façons, preuves ou pas, aveux ou non, il sait par expérience que chacun continuera imperturbablement à nourrir son intime conviction, auto-immune à toute atteinte de vérité. Heureusement la vérité est subtile, capable de se glisser dans tous les interstices de toutes les mauvaises fois.

La vérité ... Comment ose-t-il encore de si gros mots ?

 

« J’ai proposé au Conseil d’Établissement une action prioritaire en ce sens, mais les enseignants ont voté contre. Vous vous rendez compte ! Ils sont censés être des pédagogues et …

- J’aimerais, Mme Poitrail, des précisions sur votre emploi du temps d’hier matin. M. Drouault m’a informé que la victime lui avait demandé l’autorisation de se rendre à l’infirmerie, peu avant la récréation.

- C’est à dire ... J’ai diffusé une note auprès des enseignants pour les informer que je n’acceptais plus les élèves pour un prétendu bobo. Ils s’écoutent trop, il faut les éduquer, sinon c’est trop facile. Ils s’ennuient en cours, ce que je comprends, il y a si peu d’innovations pédagogiques chez nos enseignants. Alors ils demandent à aller à l’infirmerie. Mais vous serez d’accord avec moi, vous qui avez l’habitude du raisonnement rationnel et impartial, si on prenait au sérieux leurs états d’âme …

- Ne vous inquiétez pas, Madame, j'ai compris que l’âme n'entre pas dans vos compétences ».

Anaïs pince les lèvres. Sa bouche n’est plus qu’une incision de scalpel soulignée d'un rouge à lèvres sanglant. Bondil la contemple un instant. Il faut que les élèves aient l’âme bien dolente en effet pour aller chercher réconfort auprès d'elle.

« Je voudrais relier la déposition de M. Drouault et la vôtre, pour reconstituer l’emploi du temps de cet enfant.

- Drouault le prof d’Arts Plastiques ... Il y aurait ... Je ne vais pas vous apprendre votre métier, mais une enquête de moralité ...

- Oui ? 

- Je ne sais pas si ... la discrétion ...

- Nous cherchons la vérité, Madame. La vérité sur un meurtre.

- Il s’est séparé de sa femme, enfin c'est elle qui l’a quitté. Nous parlions, entre femmes, vous voyez ? Raphaël, enfin M. Drouault, aurait des pratiques, sexuelles enfin, c’est gênant ... un peu … brutales. »

Une langue pointue vient lécher le trait sanglant de scalpel.

« Augustin Duras s’est-il, oui ou non, présenté à l’infirmerie hier, un peu avant dix heures ?

- C’est à dire, je n’y étais pas : vous comprenez, si j’ouvre l’infirmerie à la récréation, évidemment c’est la cohue …

- Ah ? Ils s’ennuient aussi en récréation ? »

 

À suivre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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