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Le cri des paons (1/8)

 

« Cette nuit j'avais les cheveux tout blancs. C'était pas un rêve angoissant, mais je sentais que c'était comment dire déplacé. ».

Agathe secoua la tête pour appuyer sa déclaration. Non, c'était pas encore le moment. Déplacé. Il y a un temps pour tout, et elle avait encore du temps, avant. Avant ça.

Le matin en arrivant, Agathe prenait le café avec l'équipe de nuit. Elle suçotait le sucre qu'elle avait trempé dans le liquide très noir. Joseph passa la main dans sa crinière

« Moi l'autre jour j'en ai trouvé un, de cheveu blanc. Ça vient plus vite que tu crois. C'est déjà là, tu sais. 

- Si c'est pour me déprimer de bon matin, j'aime encore mieux aller bosser. Elle a passé la nuit comment, Mme Moricier ?

- Plus calme. Mais je te conseille d'aller la voir en premier, quand même.

- J'y vais. Vous direz à Arlette que je commence par la 4. Alors à ce soir. »

En traversant le patio qui menait aux chambres de l'aile 4, Agathe s'attarda à regarder les paons qui occupaient la pelouse à côté du bassin.

Il y en avait un, blanc, au milieu des autres, qui faisait la roue. La roue c'était un tour chacun, on aurait qu'ils se relayaient histoire de ne pas trop se fatiguer.

Ou bien il y avait parmi la petite colonie une hiérarchie, une étiquette, un code qu'elle ignorait.

Il ne fallait pas trop s'attarder cependant et traverser avant que l'un d'eux ne lance son cri. Depuis dix ans qu'elle travaillait aux Quatre Saisons, Agathe ne s'était toujours pas habituée à ce son de trompette nasillarde. La laideur, mais pas seulement. Le cri était un appel, un appel mal articulé comme celui du rêveur qui appelle dans le vide de la nuit.

Ce qu'elle ne supportait pas surtout, ce que personne ici ne supportait, c'était que les vieux attachés à leur fauteuil ou à leur lit, en dernière phase de leur maladie, ils criaient du même cri que les paons, certains pendant des heures, en proie à un cauchemar qui ne finirait qu'avec la vraie nuit, la nuit sans réveil.

 

Mme Moricier occupait la chambre 47 de l'Hiver. Le nom des bâtiments ressemblait à une mauvaise plaisanterie. Le centre s'appelant les Quatre Saisons du nom du lieu-dit voisin, la directrice avait trouvé opportun de baptiser chacune des parties du bâtiment d'un nom de saison.

« Mais quand même », lui avait dit Agathe une fois, « bâtiment 1 pour les plus valides : Printemps. Été pour ceux plus atteints du 2, et ainsi de suite la dégringolade jusqu'au bout du 4 … Heureusement qu'à partir de la fin de l'Été, ceux du bout du couloir, ils ne se rendent plus vraiment compte.

- Je ne vous le fais pas dire. Et puis tout le monde sait bien à quoi s'en tenir sur le parcours. C'est la condition humaine, n'est-ce pas. J'ai choisi l'organisation la plus rationnelle. L'aile 4 pour le terminal, la plus petite, la plus proche de la salle de soins intensifs. C'est logique. »

Le logement de fonction de la directrice se trouvait, lui, dans un coin retiré du parc, que les employés entre eux appelaient les Champs Elysées.

                                                                                                                 ***                                                                                                                 

11 juillet. Passé chez Mémé fêter mon bac. Depuis un moment j'y étais plus allé. Carrément glauque : elle a lâché côté ménage et tout ça. Et puis elle était fringuée fallait voir comment. Maman a dit en repartant : l'aide ménagère ça suffit plus, il faut trouver une autre solution maintenant. En tous cas Mémé était contente de me voir, sauf qu'elle m'a appelé tout le temps Joël. Il avait mon âge à peu près quand il est mort, l'oncle Joël. C'est tout ce que je sais vu que personne en parle jamais. Sur les photos je lui ressemble pas, je trouve. Si : la voix, a dit Maman. Et les cheveux blonds.

À suivre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Commentaires

  • Chère Arianne,

    je viens à peine de terminer Inconstance. Et les commentaires sont déjà fermés.
    C'est pourquoi je me griffe sur le Cri des paons que je lirai par la suite.
    Je voulais juste dire que je ne m'attendais pas à ce que sylvestre soit aussi vide. Il n'a pas de peau, on le savait dès le début, il lui manque aussi le muscle cardiaque.
    Quant à Constance: quelle f(l)emme admirable!

  • C'est vrai ça : ce pauvre Sylvestre est assez vide, voire superficiel. Mais bon, je décline toute responsabilité quant à son comportement : je ne suis que l'auteur après tout ...

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