Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Le cri des paons (4/8)

 

Il réfléchissait. La peau de vache de directrice n'avait pas la plus petite ombre de soupçon de mobile. Elle était du genre à traiter de haut et sans ménagement sa valetaille d'employés, du genre qui sait exploiter les ressources humaines. Le contrat de travail de cette Chantal, par exemple : hallucinant … c'est plutôt elle qui avait des raisons de tuer sa patronne, si on réfléchit.

Mais elle n'avait évidemment aucun intérêt à un fait divers sordide qui éclabousserait la réputation des Quatre Saisons, havre de Paix et de Sérénité pour nos Anciens, comme disait le prospectus de présentation.

Les pensionnaires, de leur côté, étaient innocentés d'office. Sans parler de ceux qui n'arrivaient même plus à tenir leur tête, laquelle pendait d'un côté ou de l'autre du fauteuil, de ceux qui ne sortaient plus de leur chambre, avec pour seule compagnie le goutte à goutte d'une perfusion, même ceux qu'on considérait ici comme les valides n'auraient pas eu les moyens d'un tel geste.

La petite Chantal n'était pas une force de la nature, d'accord, mais elle avait vingt-quatre ans, des muscles neufs et un complexe neurologique en bon état de marche : elle aurait pu réagir en cas d'agression de ces bras mous et incoordonnés.

Non, ils n'avaient pas tué, les vieux, mais on pouvait se douter que le désir n'en n'avait pas manqué à certains, ou certaines. Ce n'est pas toujours que la vieillesse rend bon et sage.

Au contraire, on voyait souvent les vieux, dans leur avare agrippement à ce qu'il leur restait de vie, prendre un malin plaisir à gâcher celle des autres, des plus jeunes, qui pouvaient encore aller nager dans la mer toute proche, s'allonger au soleil de juillet sur le sable fin de la plage, mâcher à pleines dents des choses pas diététiques, fumer, courir, se coucher tard et faire l'amour.

Vieillir était injuste, indécent, absurde. Cela appelait bien quelque vengeance.

                                                                                                                                                         ***

25 décembre. C'est Noël et j'ai un vieux cafard. Voir Mémé au milieu de tous ces gagas. Et ces bonnes femmes aides ceci ou cela, qui lui parlent comme à une débile. Elles parlent comme ça à leurs vieux à elles ? Le pire, oui, peut être. Je suis resté presque tout le temps dans le parc à me les geler et à regarder les paons. Ça valait mieux.

A un moment un infirmier est sorti fumer une clope. On a parlé. Lui il reprend ses études, il veut être toubib, il en a trop marre de se faire traiter comme de la merde par la directrice ici. Il m'a dit des trucs sur leurs maladies de vieux, pourquoi ils oublient tout, même de respirer parfois. C'est dans les neurones que ça déconne à un moment. Et puis les cellules qui débloquent, les codages d'ADN qui foirent, enfin tout ça.

Finalement on n'en sait pas grand chose, mais on saura, vu qu'il y a de plus en plus de vieux à étudier. « Joyeux Noël », il m'a dit en partant. Le mot pour rire le keum.

Joyeux Noël ma Mémé. Tu sais, moi, je me souviens. Peut être qu'un jour j'oublierai de respirer, mais le sapin de Noël que tu préparais et les paquets avec le nom de chacun, ça j'oublierai pas.

 À suivre.

 

 

Les commentaires sont fermés.