« Bonjour Agathe ! Y a un moment que je vous cherche, dans cette pagaille !
- Bonjour, Mme Sauveterre ! C'est à cause de cette terrible histoire …
- Oui on m'a dit, Mme Carogne est dans une humeur massacrante. Bonjour Maman, c'est moi Christine ! Regarde-moi, Maman, arrête de crier … Elle est bien agitée, on lui a changé ses médicaments ? On m'a dit qu'on allait baisser les doses, il paraît que ça l'assomme trop. Vous avez une idée, vous, pour cette pauvre petite ?
- Aucune ... Vous savez je veux pas vous choquer, j'aime bien votre maman, et aussi la plupart des autres. Malgré quelques numéros insupportables au Printemps, vous voyez qui je veux dire. Quoiqu'en fait il y en a je pense pas que ce soit une question d'âge. Enfin bref, ce que je veux dire, ce qu'on peut pas s'empêcher de penser depuis ce matin …
- Bien sûr … Je pense la même chose que vous, Agathe, la mort n'avait que l'embarras du choix ici. Seulement voilà, comme dit la chanson, le sort tomba sur le plus jeune … La mort a l'humour noir, que voulez-vous !
- De l'humour ! Vous avez de ces mots, madame Sauveterre !
- Oui je sais, plus on vieillit, moins ça fait rire. Ma mère, quand elle était jeune, c'était son genre, l'humour noir. Hein Maman, t'étais pas la dernière à plaisanter de tout ça ! »
Pour toute réponse, la vieille femme reprit son hululement nasillard, les yeux vaguement dirigés vers le paon blanc qui faisait la roue à l'endroit même d'où l'on avait enlevé le corps de la jeune Chantal, devant les hautes tiges des roses trémières.
***
26 septembre. On a fêté l'anniversaire de Mémé. Il y avait une nouvelle aide-quelque chose ou je sais pas quoi. Chantal.
***
« Nous étions toutes les trois, les Trois Grâces comme ils nous appellent ... »
J'aurais dit les Trois Parques, ne put s'empêcher de penser le policier.
« Donc toutes les trois vous avez vu ce jeune homme ?
- Oui. On s'est fait la même réflexion qu'il se fait drôlement beau, le Maxime. Ça commence à faire un moment qu'on le voit, il vient avec sa mère. La fille. Elle est là presque tous les jours. C'est pour ça que Mme Moricier, tout le monde est aux petits soins pour elle.
- Oui parce que sinon, vous savez, ceux de l'Hiver, il y en a on les surveille pas comme le lait sur le feu. Yvette, c'est bien toi qui as entendu crier le vieux euh … Machin hier ? Tombé du lit, vous vous rendez compte ? La nuit c'est Joseph qui garde l'Hiver, il est gentil, mais des fois il en prend à l'aise. On peut pas lui jeter la pierre, c'est vrai c'est un légume, Machin (ah zut j'arrive pas à retrouver le nom)
- Comme on sera bientôt, ma belle, qu'est-ce que tu crois ?
- Moi je vais te dire, Solange, j'espère que je passerai avant, parce que sanglée sur le lit avec des escarres partout …
- Donc Maxime Sauveterre est passé dans le patio à 9h, 9h30 ?
- Pas après 9h30 sûr, Monsieur l'Amiral, c'est l'heure de la séance de coiffure, le lundi. D'ailleurs on lui a dit, on va se faire belles pour draguer les beaux blonds comme toi, mais ça l'a pas fait rire.
- Oui c'est vrai c'est dommage un si joli garçon et toujours l'air triste, qu'on se disait avec Yvette, beau comme un ange, mais l'air de porter le malheur du monde sur ses épaules. Le fils à Mme Moricier …
- Non, son petit-fils.
- Tu crois ? Mais la dame qu'on voit avec lui d'habitude, c'est pas la fille ?
- Oui justement ! Faites pas attention, Monsieur le Ministre, elle commence à faire un peu de l'eau, Solange ... »
Quand Arlette était venue les chercher pour la séance de beauté, elle s'était étonnée de voir Maxime seul, et à une heure inhabituelle. En général, quand il venait, c'était avec sa mère, le week-end. Rarement un jour de semaine, et jamais le matin.
« Vous avez un rendez-vous ? » lui avait-elle demandé histoire de le faire sourire.
Il n'avait pas souri.
À suivre.