En relisant ces jours-ci Les Caractères je trouve que La Bruyère fait vieux schnock plus souvent qu'à son tour, malgré son côté poli et courtisan, son côté versaillo-compatible.
Plus souvent qu'à son tour. Voilà une expression aussi délicieusement absurde que toutes choses égales par ailleurs. Comme si on disposait de quota autorisés de conneries, de méchancetés ...
À ce compte pour certains faudrait l'équivalent d'un interdit bancaire.
Le vieuxschnockisme de Labru éclate dans sa normativité. Péché mignon de quelques auteurs & critiques de l'époque dite classique.
Qu'ils aient eu envie d'édicter des règles d'écriture, des contraintes, ce n'est pas ce qui me gêne. Chaque génération, chaque nouvelle école le fait, à sa façon.
Et, comme en bien d'autres domaines, les façons les plus détournées ne sont pas les moins contraignantes, ce n'est plus à démontrer. Donc autant jouer cartes sur tables.
Mais quand même, oser édicter des canons du goût : là on sort la grande artillerie normative. Le goût canonique pour La Bruyère ? Le sien, what else ?
Bon d'accord c'est spontanément le cas pour chacun de nous, quelque effort que nous fassions pour nous décentrer. Mais lui il y va sans vergogne :
« Il y a dans l'art un point de perfection, comme de bonté ou de maturité dans la nature. Celui qui le sent et l'aime a le goût parfait (suivez mon regard) ; celui qui ne sent pas, et qui aime en deçà ou au-delà (et quand on dépasse les bornes y a plus d'limites j'vous l'dis scrogneugneu) a le goût défectueux (défectueux !!). Il y a donc (voilà un donc vite hasardé) un bon et mauvais goût, et l'on dispute des goûts avec fondement. »
(Des ouvrages de l'esprit n°10)
Il est de salut public de s'inscrire en faux contre le relativisme moral : oui, il y a des valeurs nécessairement universelles sous peine de renoncer à faire humanité. Leur mépris, de quelque façon qu'il soit argumenté, produit donc (un donc pesé celui-là) des effets déshumanisants.
Mais le relativisme esthétique : quoi de plus constructif ? Disputons des goûts. En évitant le ridicule de décréter : ceci est bon, ceci est mauvais. Dans le plaisir de découvrir d'autres façons de penser et de ressentir.
D'ailleurs, tel l'arroseur arrosé, Labru a essuyé les dégâts collatéraux de son terrorisme esthétique. Comment ne pas sentir le vécu dans :
« Il n'y a point d'ouvrage si accompli qui ne fondît tout entier au milieu de la critique, si son auteur voulait en croire tous les censeurs qui ôtent chacun l'endroit qui leur plaît le moins. » (Ibidem 26)
Eh oui, on te le fait pas dire, vieille branche ...