« Si la pauvreté est la mère des crimes, le défaut d'esprit en est le père. » La Bruyère Les Caractères (De l'homme 13)
Pauvreté mère des crimes : je veux bien, y a des exemples. Mais pour autant, la richesse, on la dédouane ? Elle a aussi une belle progéniture à faire valoir dans le genre criminesque, non ?
Les riches, pour leur chère richesse, pour l'accroître et l'embellir, empêcher les autres d'y toucher (surtout ce salaud de fisc qui les rançonne pour donner aux pauvres ou aux immigrés), pour mettre en place leurs stratégies grippe-sou, il pourrait y en avoir quelques-uns qui de temps en temps, par ci par là dans le vaste monde, risquent de faire des trucs pas jolis jolis.
Mais aussi bien je dis ça juste par défaut d'esprit, va savoir.
À propos, interrogeons-nous sur ce mot d'esprit, un mot que le XVII° siècle adorait (et encore le XVIII°).
Le bel esprit était un cocktail à savourer sans modération dans les dîners en ville ou à la Cour : finesse, sens de l'humour, aisance et inventivité de langage, politesse raffinée, ce genre d'ingrédients. En proportions variables selon les gens et les situations.
L'esprit tout court est plus largement un synonyme d'intelligence, de discernement.
Il se présente comme une qualité double face : aptitude intuitive à percevoir les enjeux d'une situation, à ressentir de l'empathie avec les gens ; aptitude rationnelle à analyser, inscrire ses observations dans un cadre logique.
Et puis il suffira de combiner les deux pour adapter au mieux sa conduite à la situation donnée. Or c'est pas gagné.
« Après l'esprit de discernement, ce qu'il y a au monde de plus rare, ce sont les diamants et les perles. » (Des jugements 57)
(Tout s'explique pour les riches : ils ont choisi)
La Bruyère met régulièrement en regard de l'homme (ou femme) d'esprit deux repoussoirs, le sot et le fat. Autrement dit le bourrin et le frimeur.
Ce qui donne de jolies formules lucides-acidulées :
« Un sot est celui qui n'a même pas ce qu'il faut d'esprit pour être fat. » (Des jugements 44)
Le genre « qui voudrait bien avoir l'air, mais qu'a pas l'air du tout » comme dit la chanson de Brel. Le fat est certes par définition un adepte du conformisme (c'est le principe pour être admiré), mais il le fait avec habileté, alors que le sot y va avec ses gros sabots.
Corollaire : « Un fat est celui que les sots croient un homme de mérite. » (45)
Forcément, un bourrin est facile à abuser selon le principe « plus c'est gros plus ça passe ». Or l'homme de mérite est par définition discret, ne cherche pas à jeter de la poudre aux yeux : il n'a rien à (se) prouver (cf Orgueil rampant).